Seul le prononcé fait foi) Monsieur le Président de l’Etat d’Israël, Monsieur le Secrétaire Général, Messieurs les Présidents, Messieurs les Premiers Ministres, Messieurs les Ministres, Mesdames, Messieurs Il est difficile de parler en ce lieu.
Le silence est, d’instinct, la première réponse et le seul hommage que l’on sente digne du souvenir qui règne ici.
Souvenir d’une souffrance indicible, autant que le crime qui l’a causée – nos mots seront toujours trop pauvres face à eux.
Notre parole vient après l’horreur. Elle laisse à jamais ouverte cette béance, et cette fracture dans notre mémoire. Elle vient, aussi, après la parole des victimes. Ils ne se sont pas tus, ceux que l’on venait chercher pour un meurtre voulu le plus ignominieux. «On a inventé au cours des siècles des morts plus cruelles, mais aucune n’a jamais paru si lourde de haine et de mépris » pour reprendre les termes de Primo Levi. Ils ne se sont pas tus, pourtant. Combien de ces hommes, de ces femmes ont risqué cette vie qu’il fallait arracher jour après jour, minute après minute, aux griffes des bourreaux, pour témoigner ? Ecrire, dire, faire savoir ce qui s’accomplissait, quelle profondeur dans le mal était atteinte, cela valait raison de vivre et de tenir dans ce tréfonds. Des journaux des ghettos de Lublin, de Varsovie, de Riga, aux feuilles griffonnées par les membres des Sonderkommandos d’Auschwitz ou de Treblinka, ces mots jetés se sont montrés plus forts, non que la mort, mais que l’inhumanité où l’on a voulu les plonger.
Ils luttaient contre l’anéantissement voulu, préparé, planifié de leur, de notre, humanité, de cette part irréductible que chacun de nous porte, et continue de porter avec eux. Cette parole demeure, auprès de nous tous. C’est de cette parole que ce lieu se fait l’écho. Il est de notre responsabilité commune de la faire vivre et de lui donner toute sa résonance. Le devoir de mémoire n’est pas qu’un mot ou une obligation qu’on expédierait à travers quelques commémorations officielles. Je l’ai ressenti comme chacun hier, en visitant ce nouveau mémorial : la tragédie de la Shoah n’est pas qu’histoire.
Elle a un poids de chair, de sang et de souffrance qui demeure ancré dans nos esprits. Pour nous, Européens, la Shoah a façonné, plus peut-être que tout autre événement, notre présent, notre perception du monde. Les valeurs qui fondent nos démocraties préexistaient à la Shoah : mais nous savons maintenant quelle est leur fragilité. Oublier que la défense de la dignité humaine nécessite un engagement constant est déjà trahir ce devoir de mémoire. C’est pourquoi la France restera toujours déterminée dans ce combat pour la promotion des Droits de l’Homme, et contre toute manifestation de racisme ou d’antisémitisme.
Ce dernier mot, hélas, n’appartient pas, lui non plus, qu’au passé. La résurgence de ce phénomène n’est pas niable. Le Gouvernement que je dirige lutte avec détermination contre toutes les formes de réapparition de l’antisémitisme en France. La répression est nécessaire, et nous n’y mettons aucune faiblesse. Mais, tout autant que la répression, c’est l’éducation qui importe. A ces générations nées longtemps après 1945, nous devons répéter sans cesse que la Shoah demeure une fracture de leur histoire, une aporie au coeur de leur identité.
Je voudrais rendre hommage aux efforts inlassables accomplis ici, à Yad Vashem, pour l’éducation à la mémoire de la Shoah.
Le nom même de ce mémorial nous renvoie à l’espérance et à la promesse rappelée dans le livre d’Isaïe: «Je leur donnerai, dans ma maison et dans mes murs, un mémorial (Yad) et un nom (Shem) qui ne seront pas effacés».
C’est l’honneur de l’Etat d’Israël d’avoir voulu honorer en ce lieu et par la création du titre de Juste des nations tous ceux qui au péril de leur vie aidèrent les Juifs pourchassés.
C’est notre devoir commun de nous incliner devant la mémoire de toutes les victimes de la Shoah. Ces morts nous parlent.
De l’attention que nous leur portons, dépend aussi une part essentielle de notre avenir.