Cette année, Fanny Ben-Ami fait partie des six rescapés choisis par Yad Vashem pour allumer les six flambeaux de Yom Hashoah, en mémoire des six millions de Juifs assassinés. Jeune adolescente pendant la guerre, son expérience reflète le thème central de cette Journée du Souvenir 2019 : la lutte pour la survie des Juifs pendant la Shoah. Car depuis sa plus tendre enfance, Fanny a fait preuve d’un courage et d’un comportement exemplaires pour résister, se battre, survivre, protéger les siens.
Fanny Ben-Ami voit le jour le 19 mars 1930 à Baden-Baden, en Allemagne. Quand Hitler accède au pouvoir, ses parents Erik-Hirsch et Yohanna-Hannah Eyal décident de partir pour Paris avec leurs enfants. Alors que le couple doit subvenir aux besoins du foyer, Fanny, l’aînée, s’occupe seule de ses deux jeunes sœurs, Erika, 3 ans et Georgette-Yona, âgée de quelques mois. Le père a obtenu un permis de travail grâce à la nationalité française de Georgette et la mère travaille comme repasseuse. A 5 ans, Fanny a la charge du bébé, le change, lui prépare son biberon tout en gardant un œil sur Erika. A 7 ans, elle prend seule le métro avec ses deux sœurs pour aller rendre visite à Rosa, leur tante maternelle. Elle aime alors passer par l’Etoile pour contempler la Tour Eiffel.
En avril 1939, Fanny a neuf ans. Elle se souvient de ce dernier Pessah (la Pâque juive) passé avec ses parents dans l’appartement familial. L’été suivant, quelques jours avant le début de la Seconde Guerre mondiale, son père sera arrêté, chez lui. « Mais il a un permis de travail », s’exclame pourtant la fillette qui prend des allures de chef de famille, ses parents parlant mal français. Peine perdue, Hirsch est emmené. Le lendemain, Fanny fait le tour des prisons pour le retrouver. En vain.
Une enfant de l’OSE
Le père est enfermé dans un camp politique. La mère, envoyée à Limoges. Très vite, Fanny et ses sœurs vont alors devenir ce que la fillette appelle « des enfants de l’OSE » - l’œuvre de Secours aux Enfants veut les mettre en lieu sûr : elles seront placées au château de Chaumont, dans la Creuse, en novembre 1939. Loin de sa famille, Fanny sert de figure maternelle à ses petites sœurs et à d’autres pensionnaires, et développe un sens de la justice.
Aujourd’hui, à 89 ans, elle se souvient encore de cette période comme d’un « moment heureux » de son existence. Elle raconte les cours de danse, les chansons qu’elle compose, les valeurs qu’elle acquiert. Mais aussi le rôle de grande sœur, assumé toute son enfance, son souci permanent pour ses cadettes, allant jusqu’à dire à la monitrice du groupe des plus jeunes, « tu as tellement d’enfants que tu pourrais en oublier 1 ou 2 ».
C’est aussi l’époque où Fanny découvre le dessin. Sa monitrice, Ethel, dont elle est très proche, lui prédit un avenir de dessinatrice. Mais tout prendra fin en juillet 1942. Suite à une dénonciation, les enfants de l'orphelinat doivent quitter la maison et sont dispersés. Erika et Georgette sont placées dans d’autres maisons d’enfants, Fanny rejoint sa tante Rosa à Tance.
Par une journée de printemps, en 1943, l’adolescente va rendre visite à sa mère, passée de Limoges à Lyon et découvre qu'elle a été emprisonnée. Là encore, elle prend les choses en main. Elle s’adresse aux gardiens : "Laissez sortir ma mère. Elle n'a ni volé, ni tué. Elle n’a aucune raison d’être ici." Les geôliers menacent de l’incarcérer elle aussi, mais Fanny leur répond avec aplomb : "Faites-le, mes parents sont en prison de toute façon. Vous n’êtes pas de vrais Français, les vrais Français combattent l’ennemi. Vous êtes des traîtres. Vous savez ce qui arrive aux traîtres !" Surpris par son courage, les gardiens libèrent sa mère.
Adolescente et résistante
L'OSE transfère alors Fanny et sa tante dans les Alpes, où l’adolescente fait ses premiers pas dans la résistance. Après avoir écouté les appels téléphoniques d'un homme d'affaires local, elle prévient d'un raid prévu par les Allemands.
Fin 1943, Fanny vit avec sa mère, ses sœurs et sa tante dans un foyer pour réfugiés de l’OSE, en Haute-Savoie. L'OSE décide de faire passer Fanny et un groupe d'enfants clandestinement en Suisse. Sa mère, qui l’a conduit au bus lui dit : "Qui sait si nous nous reverrons ?" Elles ne se reverront jamais. A la tête du groupe : un jeune de dix-sept ans. A l’approche de la frontière, l'adolescent panique devant la présence allemande massive dans la région et refuse de continuer. Faute d'alternative, Fanny prend le commandement et fait convoyer les enfants illégalement dans un train postal, à destination d'Annemasse. De là, alors qu’ils essayent d'atteindre la frontière par camions, ils sont arrêtés par des gendarmes français en patrouille. Les enfants sont interrogés et emprisonnés, mais Fanny réussit à les faire sortir par une fenêtre des WC. Une fois dehors, elle ordonne au groupe de marcher en chantant, comme s'ils étaient en vacances, pour ne pas attirer les soupçons. Ils réussiront à rallier la forêt et à passer en Suisse.
Les parents de Fanny n’ont pas survécu à la guerre. Tous deux sont morts en déportation, à Auschwitz et à Lublin. La jeune fille rentre en France avec ses sœurs. Alors qu’elle sollicite auprès de la municipalité la nationalité française, Fanny retrouve un résistant connu pendant la guerre. "Elle a sauvé 150 personnes", déclare l’homme aux fonctionnaires. "Il est hors de question qu’elle paye pour la citoyenneté. Elle la recevra avec les honneurs." Fanny sera décorée la Légion d'honneur française pour son travail dans la résistance, mais la refusera.
Fanny Ben-Ami a immigré en Israël en 1956 où elle rencontre son mari Benyamin z"l. Ils ont eu deux enfants et six petits-enfants.
Ce Blog a été rédigé à partir d’une conférence donnée par Fanny Ben-Ami lors d’un séminaire organisé par Yad Vashem en décembre dernier : "Car si tu te tais maintenant" (Livre d'Esther), hommage aux sauveuses juives pendant la Shoah.