Claudine Schwartz (devenue Rudel) naît à Paris en 1936. Fille unique d'Irène née Goldman et Nicolas Schwartz, Juifs hongrois, son enfance est heureuse, entourée de chaleur et d'une famille aimante. Ses parents se sont quelque peu éloignés de l'orthodoxie de leur Hongrie natale et mènent une vie juive traditionnelle, emprunte de culture hongroise, dans leur appartement du 7 rue Michel-Ange, dans le 16e arrondissement de Paris.
A l'été 1939, avec certains oncles et tantes, ses parents ont loué une maison dans la région de Biarritz. Ils allient vacances et travail, préparant des beignets vendus sur les plages. Le retour à Paris est prévu pour fin septembre. Mais la guerre va venir déjouer les plans.
Claudine se souvient de ces grands posters placardés dans les rues pour annoncer la « mobilisation générale ». La famille rentre dans la capitale alors sous occupation allemande. Claudine, d'abord envoyée avec des cousins en Normandie, est placée chez une famille hongroise en région parisienne, jusqu'au début de l'année 1942, quand ses parents la reprennent.
Elle revoit sa mère en train de coudre une étoile jaune sur son manteau et sur son pull, dictant ses consignes :
« Quand tu sors, tu dois prendre un sac, un livre, une poupée et le tenir de façon à cacher ton étoile ».
La vie de la fillette est désormais moins désinvolte : éviter les barrages, ne pas dire qu'elle rend visite à sa grand-mère le Shabbat. A l'école publique, elle chante chaque matin « Maréchal, nous voilà ».
L'exode vers la zone libre
Ses parents ne lui parlent pas directement des dangers de la guerre, mais elle les entend échanger entre eux. Le mari de la concierge est chauffeur de bus, c'est lui qui conduit les Juifs de Paris vers Drancy. Chaque fois qu'il est réquisitionné pour un transport, il informe Nicolas, le père de Claudine du lieu où il est convoqué, qui part à vélo prévenir les Juifs menacés. Sa femme l'attend, morte d'inquiétude. Un jour, Nicolas Schwartz ne rentre pas. Il a dû traverser la frontière pour se réfugier en zone sud.
En août 1942, après la rafle du Vel d'Hiv, Claudine part avec sa mère rejoindre son père. La fillette de 7 ans ne peut emporter avec elle qu'une seule chose : sa poupée "Colette" qu'elle n'a jamais quittée après l'avoir reçue pour son 4e anniversaire en 1940. Sa mère lui explique :
"A partir de maintenant, tu n'es plus Claudine Schwartz".
La fillette devient Françoise Martin, prénom qu’elle donne aussi désormais à sa poupée. "Mais dans mon cœur, je l'appelais toujours Colette", se souvient-elle.
Elles quittent Paris en train, deux changements, puis Châlons-sur-Marne et fin du trajet en camionnette. Le reste se fait à pied, à l’aide d’un passeur. La famille Schwartz se retrouve dans le Massif central. De l’été 1942 à l’hiver 1942/43, ils s’installent à Auriac, en Corrèze, où Claudine retrouve les bancs de l’école. Deuxième changement de prénom pour la fillette : elle devient cette fois Michèle, cachée dans une petite pièce, qu'elle n'est pas autorisée à quitter. Seule avec sa poupée, Claudine se confie : "Tu vois ? Mère ne peut pas rester avec moi, tu es la seule qui restes avec moi."
Arpad Goldman, l'oncle déporté
Début 1943, Claudine et ses parents s’installent dans l’arrière-pays cannois, au Cannet, où ils louent une grande maison. Des proches et amis de ses parents vont et viennent. Claudine, déscolarisée, passe son temps dans la bâtisse de 3 étages qui fait office de plaque tournante de la résistance, sans contact avec le monde extérieur. Elle se souvient d’une rare sortie, en février 1943, pour son 7e anniversaire, ou de quelques escapades en bord de mer, au printemps. La plage est alors interdite aux Juifs, mais son père réussit à lui apprendre à nager.
La famille vit sur ses économies d’avant-guerre, le père ne pouvant travailler. Régulièrement, il part pour des « mission courses » et trouve des paysans qui acceptent de lui vendre des feuilles de choux-fleurs, traditionnellement réservées aux bêtes, qu’ils mangent pendant des semaines : « Ma Mère faisait du chou farci avec du pain et un peu de tomates ». Une fois, Nicolas Schwartz revient avec une bouteille d’huile et un sac de noix. L’extase ! Le lait aussi est rare, la carte de rationnement donne droit à un quart de litre de lait par enfant.
Outre Claudine, ses parents et sa grand-mère maternelle Esther Goldman, la grande demeure cannoise abrite aussi Odette et Jean. Odette, Juive polonaise, a épousé Arpad Goldman, le frère d’Irène ; leur fils, Jean, a environ 2 ans à l’époque. Un jour, ils reçoivent une lettre d’Arpad, interné à Septfonds - camp de réfugiés étrangers des environs d’Agen - arrêté par la gendarmerie alors qu’il est naturalisé français. Quand elle apprend son transfert à Drancy, sa femme Odette traverse la France du sud au nord, se mettant elle-même en danger pour tenter de le faire libérer. En vain : Arpad Aron Goldman sera déporté par le convoi 58, du 31 juillet 1943, en direction d’Auschwitz où il sera assassiné. Claudine remplira une Feuille de témoignage à son nom en 1990.
Colette, plus qu’une poupée
Le 8 septembre 1943, avec la prise de contrôle des Allemands des Alpes-Maritimes et le départ des Italiens, Claudine et sa famille se réfugient dans l’Isère, au Péage-de-Roussillon, où ils resteront jusqu’à la fin de la guerre. Ils circulent avec de faux papiers obtenus grâce aux contacts de Nicolas Schwartz dans la résistance.
Nicolas Schwartz travaille comme paysan en échange d’un logement dans une ferme. Là, Claudine retrouve le chemin de l’école et son vrai nom, inscrit sur de faux papiers : « Nous étions des Chrétiens réfugiés d’Alsace, la seule région qui pouvait justifier le fort accent hongrois de mes parents ». Le jeudi, Claudine va au catéchisme et le dimanche à la messe.
Chaque jour, à son retour de l’institution chrétienne qu’elle fréquente, Claudine retrouve Colette et partage avec elle les événements de sa journée :
"Je lui ai tout confié, elle m'a aidé à traverser ces temps sombres. C’est elle qui m’a maintenue en vie".
Un matin d'octobre 1943, quand Claudine se réveille, elle ne voit pas sa poupée à côté d'elle. Quand elle est entre dans la cuisine, un drôle de spectacle s'offre à elle : Colette est démantelée ; son père est en train de la réparer. Claudine ne comprend rien de tout cela. Ce n'est qu'après la guerre qu’elle apprendra que la poupée contenait des pièces d’or, enveloppées chacune de tissu pour leur éviter de tinter, grâce auxquelles la famille a pu survivre.
Même après la Shoah, Claudine ne s’est jamais départie de sa poupée, qui l’a suivie en Israël, avant d’être récemment confiée à Yad Vashem pour la postérité.