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« Le 22 juin 1941 a été comme un tremblement de terre, comme un énorme volcan en éruption. »
Zakhar Trubakov, dans ses mémoires 1
Zakhar Trubakov, l’un des rares Juifs témoins du massacre des Juifs de Kiev à Babi Yar, a raconté le sentiment qui s’est emparé de lui lors de l'invasion allemande de l'Union soviétique. En juin 1941, après avoir vaincu la Yougoslavie et la Grèce, l'Allemagne nazie lance une attaque surprise contre l'URSS, une incursion de quelque quatre millions de soldats en territoire soviétique. Son nom de code : « Opération Barbarossa ». Les armées roumaine et finlandaise combattent aux côtés de l’armée allemande, tout comme les détachements militaires dépêchés par les Alliés de l’Allemagne - l’Italie, la Slovaquie, la Hongrie et la Croatie. Objectif : précipiter l'effondrement de la « forteresse bolchévique » avant le début de l'hiver. L'armée d'invasion prend le contrôle de milliers de kilomètres de territoire. En peu de temps, l'Allemagne nazie assiège Leningrad au nord, puis, ses troupes atteignent les rives de la Volga au sud, non loin de la capitale Moscou.
L'opération Barbarossa constitue une étape importante de la Seconde Guerre mondiale et un tournant pour le sort des Juifs. Cette campagne en URSS et dans les territoires soviétiques annexés va donner lieu à une guerre à mort, raciste et idéologique, caractérisée au-delà des combats sur le terrain par la mise en œuvre de la politique meurtrière de l'Allemagne nazie. S’en suit un lourd préjudice sur la population civile, en particulier sur les Juifs, associés au communisme (alors appelée « bolchévisme ») et donc soumis à une forte politique antijuive.
Déjà, l'Allemagne nazie avait mis en place une politique d'expulsion, d'isolement et de persécution des Juifs dans son pays, ainsi qu’en Pologne et en Europe occidentale - politique qui avait débouché sur la faim, la souffrance et la mort. Mais avec l'invasion de l'URSS, elle entreprend pour la première fois une large politique officielle de meurtre de masse, qui deviendra rapidement systématique.
Pendant la guerre en URSS, à l’arrière de l'armée allemande, se trouvent les Einsatzgruppen : quatre unités de meurtres mobiles SS, chargées de combattre les « menaces idéologiques » que constituent les communistes, les partisans ou les Juifs. A leurs côtés, des unités militaires, policières et d'autres forces, assassinent. En premier lieu des hommes, abattus au cours des semaines qui suivent l'invasion. Puis, dès le début d'août 1941, le cercle meurtrier s’élargit progressivement pour englober de larges pans du territoire et tous les Juifs des zones occupées - hommes, femmes et enfants - à l'exception d'un petit nombre affectés au travail forcé.
Les meurtres répondent tous au même mode opératoire : sur fond de menaces ou de tromperie, les Juifs sont tenus de se présenter en certains endroits, où ils sont rassemblés. De là, ils sont conduits à pied ou en camions vers un lieu proche - un ravin, une forêt, un château ou un lieu de villégiature - et assassinés. Parfois, les Allemands utilisent des tranchées antichars, forçant souvent les victimes à creuser elles-mêmes leurs fosses mortuaires. Les Juifs reçoivent l'ordre de se déshabiller et de déposer leurs objets de valeur à distance, puis ils sont conduits devant les fosses et fusillés. Beaucoup sont enterrés vivants. Selon les rapports allemands, 33 771 Juifs de Kiev ont été assassinés dans une fosse près de la ville de Babi Yar les 29 et 30 septembre 1941 (veille de Yom Kippour). A Ponary, forêt située à une dizaine de kilomètres de Vilnius, en Lituanie, plus de 70 000 personnes, juives pour l’essentiel, ont été assassinées à partir de juillet 1941. Au cours de cette même période, des Juifs sont également tués lors d’opérations similaires dans les territoires yougoslaves occupés par l'Allemagne ou sur les terres roumaines occupées du régime d'Antonescu.
Lors du procès Eichmann, le Dr Ahron Peretz, qui créera et dirigera le service de gynécologie de l'hôpital Rambam de Haïfa, témoigne au sujet du meurtre des Juifs de sa ville natale de Kovno, en Lituanie : « Seuls quelques-uns ont survécu, et nous ont raconté par la suite le déroulement des événements. » 2 Les SS, commandants et soldats allemands sont animés d’une volonté de tuer des Juifs, motivée par leur adhérence à l'idéologie nazie qui repose sur un antisémitisme extrême. Ils considèrent les Juifs et le judaïsme comme la racine du mal dans le monde, une force démoniaque qui aspire à gouverner, les instigateurs des révolutions sociales et les catalyseurs du communisme, une race destructrice qui empoisonne et sape les fondements mêmes de l'existence humaine. Et cette idéologie, couplée à la propagande et la politique allemandes nazies va jouer un rôle clé dans l’assassinat des femmes, hommes, vieillards et enfants juifs.
En parallèle, un large éventail de contextes psychologiques et sociaux a permis aux hommes « ordinaires » de se soustraire à toute retenue morale et de prendre part au massacre de civils innocents, désarmés. Résultat : l'invasion allemande de l'URSS donne lieu à des pogroms commis par les habitants contre leurs voisins juifs. En outre, des milices locales et des groupes organisés en Ukraine, Biélorussie, Lituanie, Lettonie ou Pologne orientale collaborent avec les Allemands pour la persécution et le meurtre de Juifs. Quant aux alliés de l’Allemagne en Roumanie et en Croatie, ils appliquent une politique indépendante de persécution, d’expropriation de biens et d’assassinat de Juifs.
De nombreux civils ressentent de la Schadenfreude – de la joie face au malheur des autres – à l’égard des Juifs pendant la Shoah, et n’hésitent pas à les dénoncer, leur extorquer de l'argent ou leur voler des biens. Certes, certains ont caché et sauvé des Juifs, quelques Justes parmi les Nations qui ont risqué leur vie pour aider leurs voisins juifs. Cependant, sous le coup d’un antisémitisme à la fois conservateur et moderne, des intimidations exercées par les Allemands et de la nature humaine à se laisser guider, une majorité des populations locales va réagir avec indifférence au meurtre des Juifs.
Menacés d’extermination de masse, les Juifs vont lutter pour vivre. Ils fuient vers les villages et les bois à la recherche d'endroits où se cacher. Des milliers rejoignent des unités de partisans et combattent dans les forêts. Des cellules clandestines tentent d'organiser des actes de résistance et de sauvetage dans des dizaines de villes. Dans de nombreux ghettos et camps de travail, les Juifs se battent pour leur dignité humaine et leur esprit juif, parvenant à établir des institutions éducatives, culturelles et religieuses, et même à documenter certaines des atrocités et des souffrances pour la postérité.
Pour autant, la vie juive qui existait depuis des siècles en Europe de l'Est a été pratiquement anéantie. Environ un million de juifs ont été assassinés à l'intérieur des frontières d'avant-guerre de l'Union soviétique, et quelque 1,5 million de juifs massacrés dans les territoires annexés par l'URSS entre 1939 et 1940. Au cours des derniers mois de 1941, basée sur l’expérience accumulée dans le meurtre de masse en union soviétique, l'idée d'assassiner tous les Juifs d'Europe se concrétise dans un plan global : des camps d'extermination sont établis et gérés, des techniques de meurtre de masse sont mises en œuvre et les déportations en trains de Juifs "vers l'est" commencent. La campagne en Russie a ouvert la voie à la planification de la Solution finale : l'anéantissement systématique des juifs par l'Allemagne nazie. A la fin de la guerre, quelque six millions de Juifs avaient été assassinés.
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