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Nathalie Leverrier, France

Nathalie Leverrier, enseignante d'histoire-géographie, collège St-Exupéry, à Perpignan; chargée de missions pédagogiques au sein du Mémorial du Camp de Rivesaltes, a participé au séminaire organisé en partenariat avec le Mémorial du Camp de Rivesaltes en mai 2011

Réaliser un projet sur une année c’est, pour l’enseignant, un moyen de fédérer sa classe autour d'une action commune, d'une réflexion collective. C'est la possibilité, également, d'enseigner différemment : Sortir de sa salle, rencontrer d'autres acteurs de notre société, décloisonner nos disciplines en travaillant en interdisciplinarité afin de montrer aux élèves qu'un sujet peut-être abordé sous un autre angle, donnant ainsi une vision plus élargie et complète.

En France nous avons des programmes et un nombre d’heures limité pour traiter chaque thème. La transversalité permet, dans le cadre d’un projet, d’approfondir ou de contourner ces directives souvent restrictives et de traiter un sujet qui n’apparaît pas. Je pense en particulier à la guerre d’Espagne et à la Retirade qui est une spécificité de notre département (Les Pyrénées Orientales) et qui disparaît de nos programmes officiels en troisième.

Les projets que je vais vous présenter ont été autant d’occasions de sortir de l'enseignement traditionnel. Leurs objectifs variés reviennent toujours à quelques principes fondamentaux : Découvrir, réfléchir, partager, transmettre.
Leurs points communs sont un lieu : le camp de Rivesaltes.

Le premier projet s’intitule « Haïkus et nouvelle au Camp Joffre de Rivesaltes »

Ce projet s’est déroulé sur deux trimestres en 2010-2011. Il concerne une classe de troisième (collège) et une classe de CM2 (école primaire à proximité du collège). 
Ce projet se décline en deux axes :

Le premier est la découverte du milieu naturel du camp de Rivesaltes dans le cadre de l’éducation à l’environnement et au développement durable. Un intervenant, Bruno Voland (écrivain), a animé divers ateliers autour de ce thème afin de sensibiliser les élèves et leur faire découvrir la richesse de ce milieu d’apparence austère. Ont donc été abordés les effets de l’action humaine, l’évolution de cet espace dans le temps mais aussi ce que la nature peut apporter à l’homme comme réconfort aujourd’hui et hier (notamment lors de l’internement en 1941-1942).

L’objectif étant que les élèves observent leur environnement, s’interrogent, expriment leurs sentiments, leurs impressions...
A l’issue de cet atelier et de la visite sur le camp, les élèves ont travaillé sur l’écriture de Haïkus. Comment exprimer un sentiment avec si peu de mots. A ce moment là ils ont découvert la force des mots, leur pouvoir et leur beauté.

« Symbole de liberté
La montagne s’élève 
Espoir du passé »

« Derrière les souvenirs glacés
Un bout de plâtre écrasé
Forme un cœur couleur de paix »

Pour visualiser la brochure du projet, cliquez ici.

Le second axe est une réflexion autour de la transmission d’un savoir à de jeunes élèves, « Etre un Passeur d’Histoire ». Pourquoi est-ce essentiel ? Et comment le transmettre pour qu’il soit accessible et compréhensible aux CM2. Les 33èmes ont donc préparé une visite sur le camp, ainsi que des diaporamas projetés et expliqués à l’école primaire. Pendant cette présentation les CM2 ont lu quelques extraits de leur nouvelle. Un échange a donc eu lieu.

Cette journée s’est clôturée avec le témoignage d’Antoine de la Fuente y Ferras (enfant de Républicain Espagnol ayant été interné à Rivesaltes à l’âge de 9 ans). Les élèves ont ainsi compris ce que voulait dire « Passeur d’histoire », ils ont compris la valeur du témoignage cet après midi là.

L’écriture de la nouvelle s’est donc effectuée à deux mains. Les 3èmes se chargeant de replacer, dans son contexte historique, l’histoire écrite par les CM2. L’essentiel de la réflexion a consisté à réfléchir sur le choix des mots, des faits, afin de rendre les textes accessibles et compréhensibles à un jeune public.
Un travail important a été mené en amont avec ma collègue de l’école primaire, Mme Munuéra. Nous nous sommes posées de nombreuses questions quant à la démarche à adopter pour aborder cette période de 1941-1942 avec sa classe. A cette époque nous n’avions pas encore fait le séminaire à Yad Vashem , celui-ci a d’ailleurs, par la suite beaucoup inspiré ma façon de procéder et pas seulement pour aborder la Shoah.

Le second projet vise à participer au concours national de la Résistance et de la Déportation qui se déroule tous les ans.

Cette année le thème est « Résister dans les camps nazis ». Mon passage au séminaire en 2011 a eu une influence importante dans l’approche que j’ai choisie (je me suis inspirée des cartes postales réalisées par « The International School for Holocaust Studies à Yad Vashem » et présentées lors de notre séminaire). 
Afin de faire comprendre aux élèves le sens du mot « Résister » je suis partie de leur vécu : C’est quoi Résister aujourd’hui pour un adolescent de 14 ans ? …
Ce projet est interdisciplinaire, en cours de Français les élèves ont approfondi leur réflexion. En voici quelques unes.

Antoine
« Résister quand on est enfant est plus dur que de résister quand on est majeur car on a plus de droit. Et puis quand on est enfant nous sommes obligés d'être soumis aux professeurs et d'obéir à ses parents, on est aussi plus naïf.
Résister à ses professeurs. Comme on est obligé de venir en cours et que l'on reste assis toute la journée, si le cours est ennuyeux, on fait tout pour se distraire et souvent ça énerve le professeur (jouer aux cartes) »

Nejma
« On ne peut pas vivre sans résistance car dans la vie de tous les jours nous devons résister. 
Aujourd’hui, nous résistons pour des choses futiles alors qu’avant en 1941, les internés dans les camps de concentration et d’extermination, ils devaient résister pour vivre.
Avant les internés résistaient pour ne pas mourir en restant propres, en se pinçant les joues pour faire en sorte que le sang circule et donc paraître ne forme ; résister contre la faim car ils n’avaient rien à manger alors que maintenant on résiste contre la faim pour ne pas grossir. 
Pour nous la résistance, c’est résister contre l’envie de grignoter, résister contre l’envie de se recoucher le matin, résister à l’envie de s’énerver. »

Une fois la notion comprise nous avons travaillé sur différents thèmes en cours d’histoire. Par groupe de 4, les élèves ont abordé un acte de résistance : 

  • Le rôle du chant comme le chant des Marais appris en cours de musique : ce regard ouvert sur le rôle de la musique je le dois à une des conférences du séminaire qui portait sur « la musique comme survie », Tamar Matsado ; musicologue nous a fait découvrir la fonction des chants dans les ghettos (moyen de communication, de survie et de résistance). 
  • L’art à travers l’étude de la sculpture de Natan Rappaport : « la dernière marche » et le « soulèvement du ghetto de Varsovie », Felix Nussbaum ; autant d’artistes rencontrés à Yad Vashem.
  • La vie quotidienne, les révoltes…Ils ont ensuite présenté leur thème à l’oral devant leurs camarades.

Ce projet a également permis de sensibiliser les élèves à la sauvegarde d’un patrimoine
Ils ont en effet découvert un lieu unique en France et en Europe, un lieu de notre mémoire collective, qui appartient aux générations futures : le camp de Rivesaltes. 
Un petit film de 20 mn a été réalisé, le tournage et le montage ont été effectués par un étudiant bénévole Bertrand Fabre. 
A l’issue de ce travail certains de mes collègues notamment le professeur de musique ont ressenti un changement dans la classe, un intérêt, un regard différent, une nouvelle dynamique… 
Le tournage n’a pas été évident car la présence de la caméra les a beaucoup impressionnés au point, parfois, de les paralyser dans la lecture. Un petit incident a d’ailleurs eu lieu pour la seconde partie du film : les filles devaient attacher les cheveux et une élève m’a dit « moi je ne peux pas Madame, sans mes cheveux je ne suis pas moi » au moment où elle disait cette phrase elle a compris ce que devait ressentir les femmes dans les camps…
Ce travail en interdisciplinarité a été l’occasion d’approfondir ce thème, de passer plus de temps. Partir de la réalité des élèves, de leur vécu leur a permis d’accéder à un degré de compréhension plus élevé.

Expression corporelle sur le camp. Comment dire quelque chose sans l’exprimer par la parole. Découverte pour les élèves de la pluralité des langages (corps, regard, parole, écriture…). Photographies qui seront intégrées dans le petit film. Classe de 3èmes, décembre 2012.

Le séminaire que j’ai réalisé en 2011 à Yad vashem a été une source d’inspiration importante. Cela m’a permis de me renouveler, d’ouvrir mon esprit à d’autres manières de transmettre le savoir. En travaillant en interdisciplinarité avec mes collègues de collège et de l’école primaire j’ai pu partager ces expériences et m’enrichir de la leur. 
Le camp de Rivesaltes et son histoire « millefeuille » permettent aux enseignants d’aborder des thèmes complexes. Réaliser des projets autour de ce lieu c’est autant de moyens de rendre aux élèves leur histoire, de les mobiliser autour de sa préservation pour les générations futures.