Le dicton rabbinique selon lequel « tous les Juifs sont responsables les uns des autres » n'était pas qu'une simple recommandation, mais plutôt un axiome pratique selon lequel les communautés juives traditionnelles formaient leurs institutions auxquelles leurs dirigeants adhéraient. L'autorité d'une communauté englobait tous les aspects de la vie et exigeait l'allégeance totale de ses membres. De la naissance à la mort, dans la joie et la tristesse, les Juifs étaient affiliés à leurs institutions communautaires qui leur fournissaient une identité et un réseau social, éducatif, religieux et économique via des organisations établies telles que les synagogues, les tribunaux, les mikvaot (bains rituels) et les refuges pour les malades et les démunis. Les figures communautaires représentaient leurs membres auprès des autorités et relayaient les informations venant des autorités vers chaque membre de la communauté. Malgré la singularité de chaque communauté juive en Europe chrétienne et dans les pays islamiques, ils existaient des similitudes marquées dans les différentes structures et les fonctionnements de chacune d'entre elles.
Les bouleversements de l’ère moderne avec l’émergence d’une nouvelle forme communautaire
L'ère moderne a apporté des changements drastiques aux caractéristiques et aux comportements de la communauté juive, en raison de la modernisation et de l'intervention des autorités gouvernementales. Dans de nombreuses régions d'Europe et du bassin méditerranéen, une nouvelle forme de communauté juive a émergé : une 'congrégation d'observance rituelle', axée principalement sur l'adaption des besoins religieux de ses membres, face aux besoins sociaux et économiques. Ce changement a renforcé le statut du rabbin, l'importance des synagogues et des Batei Midrash (maisons d'étude), devenues les principales institutions communautaires.
Parallèlement à ces communautés religieuses traditionnelles, des alternatives ont émergé à partir de la fin du XVIIIe siècle. En Europe de l'Est, des cours hassidiques ont vu le jour et des yechivot régionales (académies talmudiques) ont été établies, la première ouvrant à Volojine en 1803. À la même époque, des figures du mouvement Haskalah ont travaillé pour fournir des réseaux sociaux réformés à la communauté juive. Ces groupes n'avaient pas besoin de reconnaissance officielle de la part des autorités, car leur force découlait de la connexion traditionnelle entre la foi religieuse et la structure sociale.
L’apparition d’une alternative moderne et laïque menant à la création d’une société civile
À partir du milieu du XIXe siècle, une conscience idéologique, politique et nationale diversifiée s'est éveillée parmi les Juifs, donnant naissance à un nouveau sentiment d'identité collective. Cette conscience a influencé la nature de la communauté juive et s'est exprimée dans la création de nouveaux cadres sociaux qui servaient d'alternative moderne et laïque à l'existence communautaire religieuse, créant ainsi une société civile.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les communautés juives dans les shtetls, les mellahs, les villages, les villes de l'Est et de l'Ouest étaient riches en institutions philanthropiques, en partis politiques, en sociétés d'aide mutuelle, en organes représentatifs en liaison avec les autorités et la société non juive, en syndicats et en organisations d'immigrants. Celles-ci ont facilité la multiplication d'institutions éducatives et culturelles, de mouvements de jeunesse, de clubs sportifs, de bibliothèques, de journaux, de théâtres, d'orchestres et de chœurs. Cette abondance coexistait avec les institutions juives traditionnelles : synagogues, tribunaux religieux, mikvaot, cadres éducatifs tels que le Heder (école hébraïque), le Talmud Torah (école primaire) et le Beit Midrash, institutions caritatives et la Hevra Kaddisha (société d'inhumation).
Le sort des institutions communautaires sous la terreur nazie
Avec l'avènement des nazis en Allemagne, puis l’occupation de la plupart des pays d'Europe et de vastes territoires d'Afrique du Nord, la société juive a été plongée de force dans une réalité extrême. Confrontés à la persécution et à la terreur quotidienne, les Juifs ont lutté avec ténacité pour préserver leur existence physique et spirituelle. Leur sentiment de destin partagé, de responsabilité mutuelle et de solidarité est resté le socle de la vie communautaire juive, même pendant la Shoah.
L'établissement des ghettos en Europe de l'Est, en conséquence de la politique de ségrégation et d'isolement des Juifs par l'Allemagne, a transformé chaque communauté juive en une unité administrative distincte et fermée. Dans toutes les terres conquises, de nombreuses directions juives ont cessé de fonctionner et ont été remplacées par de nouvelles administrations communautaires imposées par les Allemands. Dès lors, leurs dirigeants ont été contraints de mettre en œuvre les ordres du régime nazi et ont été rendus responsables d'un large éventail de fonctions qui étaient auparavant gérées par des institutions gouvernementales et municipales : approvisionnement alimentaire, emploi, logement, santé et assainissement, et même des domaines qui avaient précédemment été antithétiques à l'héritage juif de la diaspora, tels que la police et les prisons. Parallèlement, la communauté continuait à assumer ses responsabilités antérieures à savoir accommoder les besoins religieux et pourvoir à l'éducation, à l'aide sociale et aux services funéraires.
La campagne systématique de meurtres menée contre les Juifs par les nazis et leurs collaborateurs a dévasté des milliers de communautés dans les zones occupées par l'Allemagne en Europe et en Afrique du Nord ; des communautés entières ont été décimées et, dans de nombreux cas, complètement anéanties.
Après-guerre, survivre à l’anéantissement des communautés et à la destruction des institutions
Le monde juif d'après la Shoah s'est retrouvé dans une nouvelle réalité extrêmement difficile : des millions de personnes avaient été assassinées et, avec elles, ont disparu un ensemble d'institutions communautaires anciennes et respectées et une richesse de la civilisation juive. Dans de nombreux endroits, les survivants ont tenté, autant que possible, de reconstituer et de renouveler leurs communautés. En Israël et dans d'autres pays où les survivants ont immigré, beaucoup ont formé des Landsmannschaften, des associations de survivants de lieux spécifiques qui ont servi de communautés du souvenir pendant de nombreuses années après l’assassinat de la plupart de leurs membres d'origine, la destruction de leurs institutions et la dispersion des survivants dans le monde entier.
Des centaines de communautés détruites ont été commémorées dans des livres de Yizkor (mémorial). Il s'agissait d'une entreprise monumentale initiée par les survivants de la Shoah, avec la participation de membres de la communauté ayant quitté l'Europe avant la Seconde Guerre mondiale, afin de commémorer un chapitre glorieux de l'histoire juive : la communauté de la diaspora.
L'héritage de la communauté juive est l'un des trésors les plus magnifiques et les plus précieux que l'histoire juive nous ait légués. La destruction des communautés pendant la Shoah est une blessure profonde infligée au corps et à l'âme du peuple juif. Plonger dans l'histoire de la communauté juive et étudier sa destruction aide à illustrer l'énormité de la calamité et la perte incommensurable catastrophique subie par le peuple juif pendant et après la Shoah.