“Il militait dans notre organisation clandestine lors de son arrestation qui a eu lieu le 12 décembre 1941”
- Courrier de 1946 du Parti Communiste français
Bernard Chaimovitch voit le jour le 21 avril 1913 dans le 10è arrondissement de Paris. Ses parents, Adolphe Chaimovitch et Céline Sapolsky sont d’origine lituaniennes. Adolphe est né à Paris et Céline, originaire de Kovno, arrivée sur le sol français dès son plus jeune âge. La famille nombreuse est laïque ; tous ont la nationalité française. Ils sont installés dans le 18è arrondissement de Paris.
A la fin des années 1930, avant la guerre, Bernard rencontre Chana-Pere Kichneff, née le 27 décembre 1920 à Kovno, dont le père est brocanteur aux puces de Saint-Ouen. La jeune fille tombe éperdument amoureuse de celui qui affiche sept ans de plus qu’elle. Elle veut l’épouser. Encore mineure, il lui fait l’assentiment de ses parents, elle ne leur laisse guère le choix :
“Soit je me marie avec lui, soit je m’enfuis”
Le mariage est célébré le 9 juin 1938 à la mairie du 18è arrondissement de Paris et leur fille Céline naît le 23 avril 1939. Bernard exerce comme fourreur, Chana-Père, d’abord sténodactylo s’occupe de leur enfant. Le jeune couple réside au 14 rue Duc.
En septembre 1939, la guerre éclate. Bernard est réquisitionné dans les rangs de l’armée française. Membre du RIF (régiment d'infanterie de forteresse), unité militaire française spécialisée dans la défense des fortifications de la ligne Maginot, l’adjudant Chaimovitch sera fait prisonnier de guerre lors de la Bataille de France et envoyé dans un camp en Allemagne en tant que militaire français. Il a 27 ans, une femme et une fille à Paris qui lui manquent : il décide de s’échapper pour retrouver son foyer.
Peu après son retour, Bernard, membre du Parti communiste, entre en résistance. Il adhère au Front National (Mouvement français de résistance à l'occupant allemand) en juillet 1941 et participe à l’impression, au transport et à la distribution de tracts clandestins, sur le 18è arrondissement de Paris. Il a également distribué l’appel à la formation du Front national et apposé sur les murs de cet arrondissement des tracts antiallemands. Un courrier de février 1946 atteste que Monsieur Bernard Chaimovitch était membre du Parti communiste français :
“Il militait dans notre organisation clandestine lors de son arrestation qui a eu lieu le 12 décembre 1941”
Matricule 28 286
Ce matin-là, il est arrêté à son domicile, lors de la rafle dite des Notables, lui qui n’en était pourtant pas un. Bernard Chaimovitch fait partie des 743 hommes interpellés à Paris ce jour-là et internés à Compiègne. A plusieurs reprises, Chana-Pere essaye de lui faire passer des paquets, une opération compliquée pour la jeune femme qui n’a ni moyens, ni relations. A l’époque, la grande majorité des Français ne se soucie guère de cette rafle considérée comme une prise d’otages en guise de représailles de la part des Allemands. Ce n’est qu’avec le Vel d’Hiv du 16 juillet 1942 que l’opinion publique commence à s’émouvoir du sort réservé aux Juifs.
Bernard Chaimovitch fera partie du premier convoi parti de France, le 27 mars 1942. A Auschwitz, il hérite du matricule 28 286 dont il aura à peine le temps de s’habituer. Il décède d’épuisement ou du typhus, le 19 avril 1942, 20 jours après son arrivée, une semaine avant son 28ème anniversaire. Il laisse derrière lui une jeune femme de 21 ans et une fillette d’à peine 3 ans.
Chana-Pere et sa fille Céline vont survivre à la Shoah. Elles réussissent à échapper aux rafles, se cachant, la plupart du temps, dans la capitale. Hanna-Per ne porte pas l’étoile jaune. Elle partage les valeurs communistes de son mari et entre, elle aussi, en résistance. Femme forte, de convictions et de caractère, elle troque son prénom de naissance pour un autre plus français et devient Annette. Un jour, alors que le casino d’Enghien-les-Bains est envahi de soldats allemands venus jouer à la roulette ou autres jeux de chance, elle est au sous-sol du bâtiment et distribue des armes à la résistance.
Dans un des réseaux qu’elle fréquente, elle rencontre Pierre Gambut, résistant communiste lui aussi, non-juif. Ils combattent côte à côte. Pierre admire le courage et la ténacité d’Annette, toute jeune femme et mère de famille, qui prend part à des actions périlleuses. Il lui propose de cacher Céline chez sa mère qui vit en Touraine. La fillette restera quelques temps chez la famille Gambut, mais le traitement qu’on lui réserve est plutôt sévère. Une voisine prévient Annette qui part la récupérer et préfère, en dépit des risques encourus, la laisser à Paris chez sa propre mère, Esther, restée seule depuis l’arrestation de son mari Jacob, en 1943, alors qu’il allait apporter à manger aux enfants juifs du foyer de l’UGIF, rue Lamarck.
Pour la mémoire de la Shoah
A la fin de la guerre, Chana-Pere espère retrouver son mari, dont elle est sans nouvelles depuis son internement à Compiègne. Elle sait qu’il a été déporté, mais n’a aucune idée de l’endroit où il a été envoyé. Il avait 27 ans, était jeune et en bonne santé, il aurait pu avoir des chances de s’en sortir, se disait-elle. Bernard Chaimovitch ne fait pas partie des survivants.
Deux autres de ses frères ont également été déportés de France. Paul Chaimovitch, né en 1915, déporté à Auschwitz par le convoi 57 du 18 juillet 1943, décédé dès son arrivée le 23 juillet 1943. Le benjamin Henri Chaimovitch, né en 1920, a été déporté au camp de concentration de Gusen en Autriche, dont il a survécu. A la fin de la guerre, il a émigré aux Etats-Unis où il a fini ses jours en 2001.
Quand elle comprend que son mari ne reviendra pas, Chana-Pere épouse Pierre Gambut, avec qui elle aura une deuxième fille, et devient officiellement Annette. Comme beaucoup de survivants, elle enfouit la Shoah et la première partie de sa vie dans un coin de sa tête. En 1994, elle remplira une Feuille de témoignage à la mémoire de son premier mari, Bernard Chaimovitch.
Céline s’est éteinte en 2017 à Jérusalem. Avec Robert Spira, fils et petit-fils de déporté, elle a eu 2 enfants, 5 petits-enfants et à ce jour, 5 arrière-petits-enfants. C’est à partir du témoignage de sa fille Valérie que nous avons reconstitué son histoire. Représentante en Israël des Fils et Filles des déportés juifs de France, Valérie Spira organise depuis des années des cérémonies de commémorations à Roglit à l’occasion de Yom Hashoah et consacre l’essentiel de son temps à la mémoire de la Shoah.