Présidents de la Commission :
1962-1970
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Le juge Moshe Landau
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1970-1995
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Le juge Moseh Bejski
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1995-2005
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Le juge Yakov Maltz
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2005 – 2023
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Le juge Jacob Tuerkel
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Mai 2023 – janvier 2024 |
Le juge Elyakim Rubinstein |
depuis 1 février 2024 |
Le juge Hanan Melcer |
La création de la Commission de désignation des Justes
Dès la création du programme, Yad Vashem réalise qu'il sera extrêmement difficile de décider qui doit être jugé digne de cette noble distinction. La plantation d'un arbre en l'honneur d'Oskar Schindler prévue pour le 1er mai 1962, jour de l'inauguration de l'Allée des Justes, est reportée suite aux protestations d'un survivant qui allègue que bien que lui aussi ait été sauvé par Schindler, ce dernier a été membre du parti nazi, que c'est guidé par son souhait de se constituer un alibi qu'il a sauvé des Juifs et qu'en arrivant à Cracovie, il a dépossédé la famille juive qui était propriétaire de l'entreprise. Soucieux d'instaurer un processus décisionnel équitable et cohérent et de s'assurer que seules les personnes qui le méritent se verront décerner cette noble distinction, Yad Vashem crée la Commission de désignation des Justes et nomme à sa tête un juge de la Cour suprême, Moshe Landau (qui présidait le tribunal lors du procès d’Adolf Eichmann).
Une réunion préliminaire de la Commission est organisée le 1er février 1963 et les membres de la Commission commencent à formuler les lignes directrices et les critères qui serviront de fondements à tous ses travaux par la suite. Le 19 février 1963, la première réunion de la Commission a lieu dans les locaux de la résidence du président de l'État d'Israël. La composition de la Commission évolue au fil des années, mais cette dernière est toujours présidée par un juge de la Cour suprême à la retraite et composée majoritairement de survivants de la Shoah travaillant à titre bénévole. Les membres de la Commission consacrent de longues heures à examiner minutieusement chaque dossier et ne décident qu'après mûre réflexion si l'affaire considérée répond aux règles très strictes du programme. Grâce à cet examen méticuleux et à la rigueur avec laquelle les critères du programme sont appliqués, le titre de Juste est aujourd'hui internationalement reconnu.
Au fil des années, la Commission a mis en place une série de régulations et de critères pour tenter d'établir une ligne de partage précise au cœur d'un éventail de conduites et d'attitudes nuancées et variées – une frontière séparant les actes de sauvetage correspondant aux critères d'octroi de la reconnaissance des autres manifestations d'aide et de solidarité vis-à-vis des Juifs. La définition des Justes inscrite dans la loi Yad Vashem, qui évoque ceux «qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs», se trouve au fondement des règles de la Commission. Elle délimite les contours d'un petit groupe d’individus qui ont non seulement voulu aider mais qui étaient en outre disposés à renoncer à leur position relativement sûre de spectateur passif ; des personnes prêtes, le cas échéant, à payer le prix fort pour leurs choix et à partager le sort des victimes. Face au mal suprême, ils ne se sont pas contentés de simples manifestations de sympathie. Les circonstances, extraordinaires, exigeaient des réponses extraordinaires.
Dans de nombreux cas naturellement, cette frontière est floue et la Commission est confrontée à des questions et des dilemmes redoutables. Tels des historiens, les membres de la Commission tentent de faire la lumière sur les événements et de les apprécier dans leur contexte historique. Toutefois, à la différence des historiens, ils ont en fin de compte l'obligation de trancher, au cœur de situations complexes, aux facettes multiples et de les réduire à un simple « oui » ou « non ». Ils doivent affronter la question de l'évaluation du risque encouru par les sauveteurs et celle de leurs motivations : les sauveteurs ont-ils réellement cherché à sauver des Juifs ou étaient-ils guidés par un autre motif comme la perspective d'un gain pécuniaire, le prosélytisme religieux ou le désir d'adopter un enfant.
Extrait du procès-verbal de la réunion préliminaire de la Commission de désignation des Justes, le 1er février 1963
Le juge Moshe Landau :
Je suis certain que, comme moi, vous abordez ce travail avec émerveillement et appréhension. Une mission importante nous a été confiée et notre tâche est loin d'être aisée – cela nous est apparu évident dès le début. Nous avons toutefois le devoir au nom de Yad Vashem, de l'État d'Israël et du peuple juif tout entier de nous acquitter convenablement de cette tâche … Nous serons confrontés à la question de savoir s'il y a lieu d'élargir ou de restreindre l'étendue de nos activités. J'ai entendu monsieur Kubovy parler de centaines et de milliers de sauveteurs. Je crois que la définition devrait être aussi restrictive que possible, c’est-à-dire que le titre devrait être réservé à une minorité de personnes remarquables… L'aide apportée a pris de très nombreuses formes et les motifs qui ont poussé des gens à sauver des Juifs ont été très divers : raisons personnelles, altruisme, attitudes pro-juives. Notre tâche consistera à délimiter les contours de cet éventail… Nous devons trouver un équilibre entre la nécessité de définir des lignes directrices avant de nous mettre au travail et la mise en place de nouvelles règles à mesure que nous avançons et que de nouvelles questions émergent au cours de l’examen des différents dossiers.
Mr Gideon Hausner :
Je comprends la difficulté. Après tout, il ne s'agit pas d'événements anodins, mais d’un phénomène qui touche des personnes en vie à l'égard desquelles nous devons exprimer notre gratitude. Il est très facile de se lancer dans une analyse sur la bonté des gens ; c'est beaucoup plus agréable et cela pourrait nous conduire à négliger l’objectif principal de Yad Vashem [celui de commémorer les six millions de Juifs assassinés]. Notre devoir consiste à examiner la documentation et à publier des listes sélectives des personnes qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs sans rien attendre en retour … lorsqu'on évoque des milliers de sauveteurs, j'ai des doutes…
Le rabbin David Kahana :
… Nous avons péché en ne faisant pas assez pour faire connaître ces récits… La Bible nous enseigne l'exemple de la fille de Pharaon, qui a été la première « sauveteuse ». Elle a sauvé un enfant juif. Si nos Sages l’ont compris et ont perpétué la mémoire de cette première femme, nous devons en faire de même.
Mr Eduard Gleber :
Quant aux Justes parmi les Nations qui ont été assassinés ou dont les noms nous sont inconnus, nous pourrions ériger un monument symbolique en mémoire de leurs actions, nous accomplirions ainsi notre devoir dans l'éventualité de l'existence de dizaines ou de centaines de personnes qui méritent une reconnaissance, mais dont les noms resteront inconnus.
Professeur Alexander Brunovsky :
Je partage votre sentiment, nous avons une mission délicate et nous devons examiner les dossiers avec la plus grande prudence… Je connais ces cas, pour avoir vécu en Pologne [sous une fausse identité] en tant que chrétien pendant plus de trois ans et je sais que des chrétiens polonais sont venus en aide aux Juifs. Il sera très difficile de définir des règles, il y a des personnes qui ont porté secours à certaines familles, mais en ont dénoncé d'autres à la Gestapo. Il y en a qui ont agi en échange d'une compensation financière ou dans l’espoir d’en obtenir une. Mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que d’autres ont agi par pur idéalisme et que ce sont là les véritables Justes… Notre examen devra être rigoureux…
Mr Simcha Rotem (Kazik):
Je tiens à féliciter les initiateurs de cette Commission… Nous avons envers ces personnes une dette de gratitude et nous avons péché en n'agissant pas plus tôt.
Professeur Arieh Kubovy :
La définition de la loi est claire. Seuls ceux qui ont pris de véritables risques se verront décerner le titre… J’étais présent lors de la quasi-totalité des cérémonies [plantations d'arbres par les sauveteurs dans l'Allée des Justes au cours de l'année 1962] et la plupart des personnes honorées ont humblement déclaré qu'elles ne méritaient pas tant d'honneurs. Il y a quelques jours, le 26ème sauveteur, un hollandais du nom de Cornelis Broeze, est allé jusqu'à dire : « Je ne mérite pas cet honneur parce que je n'arrive pas à me défaire – et c'est là le sentiment du peuple hollandais tout entier – de la culpabilité qui est la nôtre d'avoir échoué à sauver les 104 000 Juifs hollandais qui ont été exterminés ».
Le juge Moshe Landau:
Le travail qui attend la Commission est immense. L'existence de la Commission a été rendue publique. Yad Vashem a besoin d'une Commission agréée pour résoudre les problèmes qui surgissent et il nous faudra trouver le juste équilibre entre l'activité de la Commission et les activités principales de Yad Vashem.