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En 1941, des mouvements semi-clandestins qui émanent de la branche juive de la MOI (Main d’œuvre immigrée) créée par le Parti communiste français, contactent des familles françaises. Ils cherchent des hôtes pour accueillir les enfants juifs de leurs membres, afin de protéger les plus jeunes des rafles et des arrestations, et permettre aux adultes d’organiser leurs activités de Résistance.
Marie Massonnat est une paysanne du Montcel, un village de Savoie, dans la région Rhône-Alpes. Elle accepte de recevoir une fillette juive dans sa ferme baptisée Maison Mayan, du nom de famille de sa mère.
Vers la fin du mois de décembre 1941, elle accueille la jeune Berthe Elzon, 9 ans, une jeune Juive de parents d’origine polonaise, installés dans la région lyonnaise. Pour plus de sécurité, le père, Itzhak avait réussi à se procurer un certificat de baptême de complaisance, au nom de sa fille, délivré par le curé de la paroisse proche de leur domicile. Un ami de la famille, qui a conduit la fillette jusqu’à sa nouvelle demeure, remet le document à Mme Massonnat. Cette dernière, au courant de la véritable identité de la fillette, fait comme si de rien n’était. Elle ne parlera jamais de la judaïté de Berthe, ni à la principale intéressée, ni à ses propres enfants, Marcel, 20 ans, Francia, 16 ans, et Valentine, en pensionnat à Aix, 12 ans.
Les Elzon payent une modeste pension pour couvrir les frais d’entretien de Berthe. Cette dernière fréquente l’école communale, va à l’église le dimanche matin, et aux vêpres, le dimanche après-midi. Elle s’invente une histoire crédible : “Je me suis fabriquée une nouvelle vie. Je savais qu’être juif était dangereux, et que si on me demandait de dire que j’étais catholique, c’était pour me protéger”, raconte-t-elle. “Partout dans le village, je disais que j'étais de confession catholique et tout le monde le pensait.” Pour apprendre les prières en toute discrétion, elle vole un missel.
La fillette, qui a eu la chance de ne changer ni de nom, ni de prénom, est heureuse au Montcel. Elle reçoit plus de tendresse de Mme Massonnat qu’elle n’en avait de son père et de sa mère, et Marcel est devenu comme un grand frère.
Dans son témoignage d’après-guerre, elle relate :
"Marie Massonnat s'est occupée de moi avec beaucoup de tendresse pendant 3 ans. C'était en quelque sorte le paradis. Bien qu'étant juive, j'ai toujours été considérée comme sa fille.”
Alors que la fillette aspire à faire sa communion solennelle, comme toutes ses camarades de classe, pour “avoir l’air d’une mariée dans cette longue robe blanche déjà portée par les deux filles Massonnat”, Marie réussit à la convaincre d’attendre la fin de la guerre, imminente lui assure-t-elle, pour partager ce moment avec ses parents. Une façon de dissuader la jeune Berthe, sans remettre en cause l’histoire qu’elle s’était fabriquée et la confronter avec sa judaïté.
Berthe Elzon-Badehi se souvient :
“C’était une vraie paysanne. Elle marchait voûtée, les mains nouées derrière le dos ; une femme simple, mais dotée d’une intelligence instinctive. Et surtout, d’un grand cœur”.
Sang-froid et présence d'esprit
A partir de septembre 1943, avec l’Occupation allemande de la zone, la Savoie est sous haute surveillance. Les Allemands passent la région au peigne fin, à la recherche de Juifs cachés, Résistants ou déserteurs du STO. Certains Juifs, qui avaient trouvé refuge au Montcel sont arrêtés et déportés. En dépit du danger qui consiste à garder chez elle une fillette juive, Marie Massonnat reste fidèle à sa mission de sauvetage.
Elle accueille même, en mai 1944, la mère de Berthe venue rendre visite quelques jours à sa fille pour la première fois depuis son placement à la ferme. Sabrina Elzon, Juive polonaise, est munie de faux papiers. Un matin, alors que les deux femmes écossent des petit pois dans la cuisine, une voiture entre dans la cour. Deux Allemands en descendent. Mme Massonnat se précipite pour aller à leur rencontre et ne pas leur laisser le temps de rentrer dans la maison. Ils recherchent un garçon du village, déserteur du STO, qui porte le nom de Marcel Mayan – comme la ferme. Mme Massonnat ne perd pas son sang-froid. Elle leur explique qu’ils se trompent, car en tant qu’orphelin de père, son fils Marcel est en charge de la ferme et n’a pas été envoyé au STO. Elle réussira à les convaincre de ne pas rentrer dans la maison, les empêchant ainsi de découvrir Berthe et sa mère.
“Si moi j’avais l’air juive, ma mère avait l’air bien plus juive que moi. Sans parler de son terrible accent yiddish. Pour les Allemands, c’était suffisant, faux papiers ou pas. Nous aurions tous été arrêtés. Par sa présence d’esprit, Madame Massonnat nous a sauvé la vie.”
Berthe restera près de 3 ans dans la ferme Mayan, jusqu'en septembre 1944, à la libération de Lyon.
Après la guerre, Madame Massonnat et ses enfants gardent contact avec Berthe. La jeune fille continue à venir les voir pendant les vacances scolaires. Même après son départ en Israël, elle entretiendra des liens avec Marie Massonnat (décédée dans les années 1970), son fils Marcel et sa femme Thérèse (décédés dans les années 1990) et aujourd’hui leurs fils, nés dans les années 1950 et leurs petits-enfants. Berthe leur rend visite en France pratiquement tous les ans. Son dernier séjour date de fin 2017, en compagnie de son fils Pierre.
Marcel et sa famille s’étaient également rendus en Israël. En avril 2018, Adeline Lelièvre, petite-fille de Marcel et arrière-petite-fille de Marie Massonnat, viendra à son tour passer quelques temps chez Berthe, avec son mari et ses deux enfants. Elle avait déjà effectué un premier voyage de petits-enfants et arrière-petits-enfants de Justes, via la Fondation de la Mémoire de la Shoah en 2010.
Le 13 mars 1997, Marie Massonnat a reçu, à titre posthume, le titre de Juste parmi les Nations. La médaille a été remise à ses enfants : Marcel Massonnat, Francia Mouchet née Massonnat et Valentine Pignier née Massonnat.
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