Alma Rosé est la nièce de Gustave Mahler, compositeur néoromantique autrichien et chef d’orchestre de l’Opéra de Vienne. La sœur de Gustave, Justine, a épousé Arnold Rosenblum, premier violon du Philharmonique de Vienne, qui a changé son nom en Rosé et créé le quatuor du même nom. Ils auront deux enfants, Alfred, violoncelliste et pianiste, et Alma, née 1906, excellente violoniste formée par son père.
Au terme d'un mariage raté avec le violoniste prodige tchèque Vasa Prihoda, Alma crée un orchestre de femmes, Die Wiener Walzermädeln (les valseuses viennoises), une initiative révolutionnaire en ce début des années 1930. La jeune femme se montre très stricte avec ses musiciennes, tant au niveau du répertoire et des répétitions, qu'en ce qui concerne leurs tenues de scène. Son orchestre féminin rencontre un véritable succès à travers toute l'Europe. Mais dès 1933, l'Allemagne ferme ses scènes à cette musicienne juive. Ce n’est que le début des difficultés. Pour Alma et sa famille, comme pour tous les Juifs d'Autriche, les problèmes vont encore s'intensifier avec l'Anschluss, l’annexion de l’Autriche, en 1938.
La musicienne s’exile alors en Hollande, où le public l'accueille à bras ouverts. Mais là encore, elle est rattrapée par les lois nazies qui la contraignent d'abord à ne jouer que pour des Juifs, puis l'en empêchent complètement. Pour éviter la déportation, Alma trouve refuge chez une famille chrétienne des environs d'Amsterdam. Cachée, elle ne peut jouer de violon. Une torture pour cette virtuose. Elle déprime. A l’automne 1942, la situation lui est devenue intenable : elle décide de recouvrer l'air libre et son archet. Elle prend alors contact avec la résistance hollandaise et demande à rejoindre la Suisse. Elle n’en aura pas la possibilité. Arrêtée à Dijon, elle est envoyée à Drancy fin décembre 1942 d'où elle sera déportée le 17 juillet 1943 pour Birkenau, par le convoi 57.
L’orchestre de femmes d’Auschwitz : un passeport pour la survie
A son arrivée au camp de la mort, Alma est sélectionnée pour subir les expériences médicales du docteur Mengele. Elle demande alors à jouer du violon une dernière fois. La kapo l'entend, reconnaît Alma Rosé et prévient immédiatement la gardienne SS qui décide de l’intégrer à son orchestre. Alma Rosé ne restera que quelques jours dans la baraque de l’"Ange de la mort", épargnée par les expériences médicales, consacrant ses nuits à jouer pour les malades.
Maria Mandl la fait sortir et lui confie la direction de l'orchestre de femmes, en remplacement de Sofia Czajkowska qui en devient la copiste. Très vite, Alma comprend l’importance pour elle et les prisonnières de faire partie de l’orchestre. En tant que détenues, elles n’ont aucune valeur aux yeux de la gardienne, mais leur statut de musiciennes peut peut-être leur éviter les coups, les mauvais traitements, et la mort.
Elle n'accepte alors que des Juives, consciente de leur offrir un passeport pour la vie et réussit à négocier avec Maria Mandl pour améliorer progressivement les conditions de l'orchestre : pour préserver le bois des instruments, les répétitions doivent se faire dans un bloc et non en extérieur ; pour donner le meilleur d’elles-mêmes, les musiciennes doivent avoir le temps de répéter, elles sont donc exemptées de travaux forcés. Elles doivent aussi pouvoir se reposer : on leur octroie une pause pendant la journée et une paillasse pour deux et non pour huit. Et ce n’est pas tout. Grâce à Alma Rosé, le bloc de l'orchestre féminin à Birkenau sera le seul à bénéficier de draps, changés toutes les semaines, d'une douche par semaine, et d'un pain pour 4 (une ration bien plus copieuse que dans le reste du camp).
Maria Mandl veut que son orchestre de femmes soit capable de rivaliser avec ceux des hommes. Elle est ainsi prête à concéder aux musiciennes certaines faveurs. Mais Alma a bien compris que chacune d'entre elles ne doit la vie qu'à son instrument. Elle se montre sévère. Quand ses musiciennes ne jouent pas convenablement, elle leur montre la fumée qui s'échappe des crématoires, leur disant :
"Si vous continuez ainsi, c'est là-bas que nous finirons".
38 des 40 musiciennes ont survécu à la Shoah
Grâce à elle, nombre de femmes ont ainsi pu échapper à la mort. Hilde Grünbaum est l’une d’entre elles. Déportée à Auschwitz en avril 1943 à 20 ans, cette jeune Juive allemande a appris le violon. Elle intègre l’orchestre d’Alma Rosé qui la prend sous son aile. Ne pouvant jouer un temps pour cause de maladie, Hilde devient l’assistante personnelle d’Alma et se voit confier la responsabilité des partitions de musique. Ses amies du Kanada lui font passer clandestinement une taie d’oreiller, qu’Hilde va coudre pour en faire un étui pour les partitions. Rescapée de la Shoah, elle le conservera toujours avec elle, ainsi que quelques effets de la courageuse cheffe d’orchestre, dont les actions et la bravoure ont pu sauver la vie de la quasi-totalité des femmes de son orchestre.
Alma Rosé, elle, n’a pas survécu à la Shoah. Le 2 avril 1944, elle est invitée par Maria Mandl pour un concert privé. A son retour au bloc, elle se plaint d'un fort mal de tête et décède deux jours plus tard, le 4 avril. Les causes de sa mort ne sont pas clairement établies : on évoque une méningite, ou la possibilité d'un empoisonnement par des détenus jaloux de son influence sur Maria Mandl. Dans un rare geste d’humanité, la gardienne du camp lui accordera certains égards mortuaires : le corps d’Alma, vêtu d'une robe blanche, allongé sur un brancard recouvert d'un drap blanc, sera conduit au crématoire parsemé de roses rouges jetées à son passage par les musiciennes de l’orchestre.
Après elle, l'orchestre continuera, pour cesser définitivement de jouer en octobre 1944. Alors que les nazis commencent l'évacuation des camps de l'Est, les musiciennes de Birkenau sont envoyées, par train, à Bergen-Belsen. Leurs bonnes conditions physiques et psychiques leur permettront d'endurer la famine et la promiscuité, nouvelles pour elles, jusqu’à la libération du camp en avril 1945.
Sur les 40 membres de l’orchestre, 38 musiciennes ont survécu à la Shoah.
Alma Rosé est enterrée à Grinzing, près de Vienne, où une voie porte son nom.