Parmi les déportés, se trouvent Alfred Frenkel ("Zippi") et Paula Kaufman (qui deviendra Welt). Ils appartiennent au réseau de résistance néerlandaise, démantelé par les Allemands dans la capitale française à l'été 1944. Paris sera libérée le 25 août 1944.
Alfred Frenkel voit le jour en 1920, à Breslau, Allemagne (aujourd'hui Wroclaw, Pologne). Fils de Max et Betty Frenkel, il a une sœur cadette, Vera. Max est un commerçant prospère, qui permet à sa famille de vivre confortablement. Alfred est actif au sein du mouvement de jeunesse juif allemand "Werkleute".
En 1935, la famille s'installe à Berlin. Fin 1938, après la Nuit de Cristal, Vera embraque pour l’Angleterre par le biais d’un Kindertransport. Quelques mois plus tard, Alfred – qui a hérité de son surnom, "Zippi", alors qu'il est encore en Allemagne - déménage aux Pays-Bas et rejoint une ferme de Hachsharah (formation pour les jeunes pionniers qui aspirent à partir en Palestine mandataire) du mouvement "Hehalutz" : la ferme Werkdorp à Wieringermeer, aux Pays-Bas. Max et Betty, eux, restent à Berlin.
De son côté, Paula Kaufman naît en Pologne en 1920. A l’âge de deux mois, elle immigre avec ses parents Nachum et Teresa, à Vienne, où son frère Aryeh voit le jour. Nachum dirige une usine de vins et spiritueux. La famille, aux fortes inclinaisons sionistes, mène un mode de vie juif traditionnel. Mais après la Nuit de Cristal, ils cherchent à quitter Vienne. Paula, membre du mouvement de jeunesse sioniste "Blauweiss" part elle aussi rejoindre la ferme Hachsharah Werkdorp, aux Pays-Bas. Son père, sa mère et son frère déménagent chez des proches, dans différentes régions de Pologne.
En mai 1940, les Pays-Bas sont occupés par les Allemands. Werkdorp ferme ses portes, en août 1941, mais la plupart de ses membres, dont Zippi et Paula, sont déjà installés à Amsterdam depuis le mois de mars. Ils travaillent pour le "Joodse Raad" (Conseil juif) d'Amsterdam : Zippi comme charpentier et Paula comme infirmière à l'hôpital juif. Tous deux ont rejoint le réseau de résistance clandestine "Hehalutz". Ils font partie d'un groupe de jeunes sionistes, dont beaucoup sont des réfugiés allemands, qui tentent de sauver des Juifs et cherchent des moyens sûrs pour les faire passer illégalement en Suisse et en Espagne, en vue de les amener en Eretz Israël (Palestine mandataire).
Werkdorp-Amsterdam-Paris
En Hollande, Zippi reste en contact avec ses parents avec lesquels il correspond par écrit. En octobre 1943, muni de faux papiers d'identité, il quitte les Pays-Bas et se fait passer pour un ouvrier hollandais venu travailler en France sur ordre des Allemands. En janvier 1944, c’est au tour de Paula de rallier l’Hexagone. Leur réseau de résistance néerlandais coopère avec l'Armée juive (AJ). Zippi jusqu'alors actif en Italie et en Belgique où il localisait des Juifs et leur fournissait de faux papiers, est envoyé à Paris pour continuer son travail clandestin. Mais en avril 1944, il est arrêté sur dénonciation dans un hôtel parisien, avec d'autres membres de la résistance néerlandaise, dont Kurt Reilinger ("Nano").
Paula se fait embaucher sous une fausse identité dans les bureaux de la Gestapo à Paris. Elle en profite pour transmettre des informations et des documents de la Gestapo à la résistance française, au renseignement britannique et à ses camarades de la résistance néerlandaise. Parmi ses faits d’armes, elle fait sortir clandestinement les plans du bunker souterrain de la Gestapo à Paris ou des terrains d'atterrissage des missiles allemands V1, mais aussi des listes de documents, des papiers d'identité allemands périmés ou des tampons de la Gestapo. C’est à la résistante Judith Geller que revient la tâche de les transporter au laboratoire de la résistance chargé de les dupliquer.
Le 17 juillet 1944, des résistants français sont arrêtés, dénoncés par un agent double. Les jours suivants, des membres de la résistance néerlandaise sont également arrêtés, dont Paula Kaufman et Max Windmiller ("Cor"). Les détenus subissent des interrogatoires et des tortures dans les caves de la Gestapo à Paris. En août, ils sont internés à Drancy.
Le 17 août 1944, 51 Juifs, dont les résistants arrêtés à Paris, sont sortis de Drancy et embarqués dans un train d'évacuation allemand. On les enferme dans un des wagons. Peu après le départ, le train s’immobilise : les voies ont été sabotées par la résistance française. Il reste en gare toute la nuit en banlieue parisienne, puis repart le lendemain, avant de s'arrêter de nouveau : pour s'abriter des bombardements alliés, il entre dans un tunnel où il restera une journée entière. Au cours du voyage, les wagons sont inversés et celui comportant les 51 Juifs est placé en queue de train. Devant lui, se trouvent une cinquantaine de policiers allemands. Zippi raconte :
“La résistance française voulait empêcher le départ du train et avait bombardé les voies ferrées. C'était le quatrième jour… Nous étions à environ 20 kms de Paris. Dès les premiers jours, nous avions décidé de nous échapper du train. Nous avions réfléchi à la meilleure façon de le faire et avions pris nos dispositions. Notre wagon était le dernier. Devant nous, celui des policiers… Nous avons ouvert un côté, depuis l’arrière du wagon, et devions sauter dans l'ordre. Nous avions organisé une loterie. J'avais reçu le numéro 23. Toutes les cinq minutes, quelqu'un sautait. Mais au numéro 19, l’évasion a dû s’interrompre car les voies ferrées avaient été bombardées. Le train s'est immobilisé et les Allemands en sont sortis pendant quelques heures. Quand ils sont entrés dans notre wagon pour nous surveiller, ils ont découvert que plusieurs passagers avaient disparu”.
Ceux qui avaient sauté du train étaient des membres de la résistance juive française et un autre du réseau hollandais. Dans son témoignage, Paula Kaufman-Welt raconte qu’à un moment donné, ils avaient décidé de ne pas sauter, pour ne pas mettre en danger ceux encore dans le wagon. Selon elle, les membres du groupe français ont changé d'avis et ont sauté, laissant les autres faire face à la colère des Allemands. "Si le train avait continué à rouler ne serait-ce que 15 minutes", écrira Kurt Reilinger en mai 1945, "tout le wagon aurait été vide". (Hans Schippers, Westerweel Group: Non-Conformist Resistance Against Nazi Germany, p. 197)
Zippy raconte :
Ils [les policiers allemands] ont discuté entre eux et, a priori, ont décidé de tous nous exécuter... Ils nous ont jetés du train et ont pris toutes nos affaires... Puis, on les a vus commencer à creuser... Ils ont installé un fusil-mitrailleur… Nous étions dehors. Les [policiers] allemands étaient 50 et nous étions 15 garçons… Des soldats de la Luftwaffe se sont aussi approchés et ont demandé ce qui se passait. Au bout d’un moment, un officier allemand de haut rang est apparu… Il y avait des canons dans le train… Du matériel lourd… Il leur a fait comprendre qu'il était le commandant du train, et que rien ne pouvait se passer sans son accord... Finalement, ils nous ont fait remonter dans le wagon."
Le train finit par atteindre Buchenwald. Tous les passagers en descendent. Puis, au bout de deux semaines, les membres du réseau néerlandais répartent dans différents camps. Paula passe par plusieurs prisons avant d’être transférée à Auschwitz. A la Libération, environ la moitié des membres du réseau hollandais déportés de Drancy ont été assassinés. Zippi et Paula ont survécu.
Après la guerre, Zippi découvre que ses parents, Betty et Max Frenkel, ont été assassinés : ils ont été déportés de Berlin à Terezin le 12 janvier 1943, puis envoyés à Auschwitz le 9 octobre 1944. Le père de Paula, Nachum Kaufman, a également trouvé la mort dans la Shoah. Sa mère et son frère ont survécu en Sibérie, au cœur de l'Union soviétique.
En 1946, Zippi immigre illégalement en Eretz Israël (Palestine mandataire) sur le bateau français "Tel Hai". Il s'installe au kibboutz Hazorea, où il rencontre Nurit, qui a survécu à la Shoah en se cachant aux Pays-Bas. Ils se marient et sont parmi les fondateurs du kibboutz Yakum, dans la région du Sharon. Ils auront deux fils et une fille. En 1955, Zippi remplit des Feuilles de témoignage à Yad Vashem au nom de ses parents, Betty et Max Frenkel, et d'autres proches de sa famille.
Après avoir immigré en Eretz Israël en 1947, Paula Kaufman épouse en 1952 Yosef Welt, membre de la Brigade juive de Vienne. Ils auront un fils et une fille. En 1956, Paula Welt a rempli une Feuille de témoignage à la mémoire de son père, Nachum.