Shmuel (Ziegmond) Kaufman naît en 1929 à Bayerthal, dans le pays de Bade en Allemagne. Il est le plus jeune des trois fils de Rosa et Cezar Kaufman. Ziegmond fréquente l’école primaire dans la commune voisine de Weissloch jusqu’en 1938. Les enfants juifs sont alors expulsés des écoles allemandes et il est contraint de poursuivre sa scolarité dans une école juive dans la lointaine ville d’Heidelberg. Les deux frères de Ziegmond quittent l’Allemagne peu de temps avant le début de la guerre. Bertold, alors âgé de 17 ans, est envoyé en Angleterre dans le cadre du Kindertransport et Joseph (Zepel), âgé de 15 ans, parvient à atteindre le Danemark d’où il émigre vers la Terre d'Israël.
En octobre 1940, les Juifs de Bayerthal sont déportés au camp de concentration de Gurs dans le sud de la France. La famille Kaufman fait partie des déportés : Ziegmond, ses parents, sa tante Tekla (la sœur de son père Cezar), son oncle Joseph (le frère de son père), sa femme Hänschen (Chana) et leur fils Bernd. A Gurs, les hommes sont détenus d’un côté et les femmes et les enfants de l’autre. La famille parvient à rester en contact grâce à des lettres et des petits mots.
En juin 1941, après huit mois d’incarcération à Gurs, Ziegmond, ses parents, son oncle et sa tante Joseph et Hänschen et son cousin Bernd sont transférés à Rivesaltes, un camp situé à proximité de Perpignan. Tekla, la sœur de son père, reste à Gurs. A Rivesaltes également, il y a des blocks réservés aux hommes et des blocks réservés aux femmes. Ziegmond et Bernd sont envoyés dans les blocks des hommes avec Cezar et Joseph.
En février 1942, Ziegmond a treize ans. Bien qu’ils soient en détention et malgré les conditions difficiles dans lesquelles ils se trouvent, les parents de Ziegmond trouvent avec son oncle et sa tante une solution pour célébrer sa Bar Mitzvah et Ziegmond est même appelé à lire la Torah. Ce sont les derniers moments que Ziegmond partagera avec ses parents. Peu de temps après, l’OSE transfère Ziegmond et son cousin Bernd au château de Montintin, un vieux château dissimulé au milieu des bois au sud de Limoges.
Extraits d’une lettre envoyée par Bernd à ses parents du château de Montintin :
27 avril 1942, Montintin
Chers parents,
J’espère que vous êtes, comme moi, en bonne santé.
Nous n’avons pas reçu la moindre lettre de votre part.
…
Je vous salue cher père et Cezar et j’espère vraiment que cette lettre vous parviendra.
Chers parents, ils ont réparé nos chaussures gratuitement, nous n’avons pas eu besoin de payer le cordonnier pour nos chaussures.
Nous jouons dès que nous n’avons pas école.
…
Je n’oublie pas de prier. Je prie sans cesse.
Pour le Shabbat, nous sommes allés à la synagogue dans le château. Au cours du dîner de vendredi soir, nous avons eu un « Oneg Shabbat » (célébration du Shabbat). Il y a trois personnes qui jouent avec nous et le temps passe à toute vitesse…
Ce matin, nous avons mangé du pain et du beurre avec du café. Pour le déjeuner, nous avons de la soupe de légumes, une grosse pomme de terre et quelquefois de la viande. Nous sommes de service à la cuisine toutes les semaines ; je n’aime pas trop cela. Nous avons école de 8 heures du matin à 14h30 et ensuite nous déjeunons.
Ce sera tout pour aujourd’hui parce que je dois aller prier.
Je vous embrasse,
Bernd
Post-scriptum ajouté par Ziegmond à l’attention de ses parents :
D’après la lettre que j’ai reçue de tante Tekla, je comprends que vous allez m’écrire la semaine prochaine.
J’espère que vous êtes, comme moi, en bonne santé.
Lundi dernier, j’ai reçu la lettre de tante Tekla et j’espère qu’aujourd’hui ou vendredi, je recevrai des nouvelles de votre part. Bernard et moi allons bien. Nous mangeons bien et je joue au football et à d’autres jeux pendant mon temps libre. Je me lève tous les jours à 6h30 pour prier avec les tefillin (phylactères) et nous avons toujours un minyan (quorum pour la prière).
…
Cher père et oncle Joseph, encore une fois bon anniversaire.
En supposant que la lettre arrive. J’ai besoin d’argent pour envoyer la lettre. Quand vous m’écrivez, merci de joindre de l’argent à votre lettre.
…
Mes meilleurs vœux à tante Tekla. J’étais très heureux de recevoir sa lettre et j’ai pris ses paroles très à cœur.
En attendant, plein de câlins et de baisers,
Votre fils qui vous aime,
Ziegmond
En 1942, les parents de Ziegmond seront transférés de Rivesaltes au camp de transit de Drancy. Dans leur dernière lettre, Rosa et Cezar écrivent à Tekla :
Nous voulons t’écrire quelques mots avant le Shabbat. Nous espérons que tu vas bien. Nous nous sommes également habitués à la difficulté de la situation. Il y a toujours quelque chose d’autre qui nous rend hystériques. Ils envoient les gens "là-bas".
Lundi, ils vont ouvrir une cuisine ici, nous espérons donc qu’ils ne vont pas nous envoyer prochainement. Nous devons compter sur D.
En te souhaitant une bonne santé et tout ce qu’il y a de meilleur, Cezar et Rosa Kaufman
Cezar ajoute à ce qu’a écrit sa femme :
Tout d’abord, je te demande pardon pour ma conduite, bien qu’elle n’ait pas été volontaire et qu’elle résulte de la situation stressante dans laquelle nous nous trouvons. Reste en contact avec nous s’il te plaît. Il faut que tu entretiennes le lien avec les enfants.
Merci pour tout. Nous espérons que tout ira bien pour toi.
Si nous devons ne pas nous revoir, je te souhaite le meilleur,
Bien à toi, ton frère,
Cezar
La lettre date apparemment de juin 1942. Le 14 août 1942, Cezar et Rosa seront déportés de Drancy à Auschwitz, où ils seront assassinés.
Le 22 novembre 1942, Ziegmond, Bernd et trois autres enfants sont transférés dans une cachette à Moissac à côté de Limoges.
26 février 1943, Moissac
Chère tante Tekla,
…
Je suis heureux d’apprendre que tu vas bien ; je vais bien aussi. Je vais maintenant à l’essentiel : je veux te souhaiter un joyeux soixante-troisième anniversaire. Je te souhaite la liberté au nom de mes parents et de toute la famille.
Je pense beaucoup à mes parents chéris et regrette mon enfance.
…
Je ne sais ce qui est arrivé à Maman. Elle ne m’écrit pas. Je suis en colère contre elle.
…
Je pense sans cesse à mes parents et à mes frères et voudrais être avec eux. J’espère qu’ils ne vont pas te transférer dans un autre camp car je veux venir te rendre visite un jour. Nous avons reçu un ballon de football que quelqu’un a fabriqué avec du cuir. Nous nous amusons bien avec. Cela fait des siècles que je n’ai pas reçu de courrier.
…
Je demande que tu fêtes ton anniversaire aussi bien que possible. Si c’est possible, envoie-moi, je te prie, une photo de Maman ou de Papa.
Ton neveu qui t'aime,
Ziegmond.
Au début du mois d’avril 1943, Ziegmond et Bernd sont transférés au château du Manoir à Saint Etienne de Crossey à côté de Grenoble. Ils continuent à écrire à leur tante, lui faisant parvenir des colis et lui demandant des nouvelles de leurs parents, qui ne sont déjà plus en vie.
L’OSE procure aux deux jeunes garçons de faux papiers d’identité français et ils sont transférés en train à Axelberg, à proximité de la frontière suisse, avec trois autres enfants. Un membre de la résistance française les y attend et leur fait passer la frontière. Ziegmond protègera son jeune cousin Bernd pendant tout le temps qu’ils passeront dans la clandestinité.
Après avoir traversé la frontière, tous deux sont conduits dans un camp d’internement. En octobre 1944, ils sont envoyés dans une institution juive à côté de Lausanne. A la fin de la guerre, le directeur de l’institution les informe que leurs parents n’ont pas survécu. Ziegmond et Bernd émigrent en Eretz Israel en 1946.
Roni Kaufman, le fils de Ziegmond, a fait don des lettres et des photographies à Yad Vashem.