De Theresienstadt à Auschwitz
Fredy Hirsch était un Juif allemand, athlète et moniteur pour jeunes (madrih). Il voit le jour le 11 février 1916 à Aix-la-Chapelle, en Allemagne, avant de s’installer à Prague au milieu des années 1930, comme réfugié de l'Allemagne nazie. Il s’implique alors dans le travail éducatif avec les enfants et les jeunes.
Fin 1941, est établi au nord de Prague le ghetto de Theresienstadt où les Juifs d'Europe centrale commencent à être déportés. Fredy est l'un des premiers à y être interné ; il rejoint l'équipe qui structure le ghetto et organise l’intégration des futurs arrivants. Il s’investit tout particulièrement dans la mise en place d’initiatives éducatives qui s’avèrent être un succès. Les enfants du ghetto vouent un vénérable culte au jeune éducateur et aux activités qu’il leur propose.
Selon le témoignage de Dita Kraus, rescapée de Theresienstadt et d'Auschwitz, Fredy Hirsch organisait des activités sportives et des entraînements basés sur l’enseignement de valeurs humanistes, favorisant un sentiment de fierté juive et développant le sens des responsabilités. Le peintre David Friedman a peint un portrait de Fredy, dans le ghetto.
Le jeune homme, toujours ému par le sort des plus jeunes, essaye de trouver des informations sur les enfants de Bialystok arrivé au ghetto. Ce qui déplait fortement aux Allemands. En septembre 1943, Fredy est envoyé à Auschwitz avec des centaines d'enfants de Theresienstadt. Ils sont alors enfermés dans une sorte de camp familial, spécialement mis en place par les nazis pour les Juifs tchèques venus de Theresienstadt. L’objectif est de donner l'illusion aux délégations de la Croix-Rouge que Birkenau est bel et bien un camp de travail, et non un camp d'extermination.
Dès son arrivée à Auschwitz, Fredy reprend ses activités pour les enfants. Un autre témoignage, celui de Ruth Bondy révèle :
"Le Fredy de Birkenau n'était pas différent du Fredy de Prague, arrivé comme réfugié allemand en 1935 : cheveux soigneusement peignés, bottes cirées, posture droite, mouvements vigoureux, discipline prussienne et sifflet. Aucun signe de faiblesse. Une apparence physique stricte et impeccable affichant une certaine ressemblance avec celle des Allemands, dans l'habillement, l'attitude, ou le discours tranchant et qui ne pouvait que faciliter ses rapports avec eux."
Le Block 31 pour les enfants
Fredy Hirsch sera donc nommé "Kapo". Mais il s’emploiera à mettre à profit les liens noués et la confiance que lui accordent les nazis pour le bien du camp familial d'Auschwitz et sa mission entamée à Theresienstadt : éduquer et prendre soin des centaines d'enfants dont il a la charge.
Il demande à ce que les enfants se voient attribuer un block spécial qui ferait office de cadre social, éducatif et thérapeutique. Il obtient le Block 31. On lui donne la permission d’organiser des activités pour les moins de 14 ans uniquement, mais il réussit à intégrer des plus âgés, au prétexte qu’ils pourront l’aider à encadrer les plus jeunes.
Fredy met en place des équipes d'enseignants, instructeurs et thérapeutes. C’est lui qui sélectionne le personnel, une vingtaine de moniteurs, sur la base de ses relations personnelles avec les enseignants des écoles juives de Prague et de Brno et avec les encadrants de Prague et du ghetto de Theresienstadt. Il parvient à augmenter le nombre d’employés au block et octroie des rations alimentaires supplémentaires aux détenus du camp familial. Ainsi, Fredy permet aux enfants de bénéficier de meilleures conditions de vie, et leur évite les travaux forcés où sont envoyés les autres prisonniers d'Auschwitz.
Le block compte environ 500 enfants. Fredy approche le Dr Josef Mengele, responsable entre autres, du Block 31 et sollicite un autre bâtiment pour le jardin d'enfants. Peut-être sa demande a-t-elle été facilitée par la représentation de la pièce "Blanche-Neige et les Sept Nains", jouée par les enfants de l'orphelinat en janvier 1944 et largement saluée par le public SS. En tout cas, Fredy bénéficie d’un autre block, qui abrite désormais l’école maternelle.
Le jeune entraîneur ne cherche pas à instituer un programme scolaire obligatoire, puisque tous les enfants du camp familial ne sont pas en mesure de suivre des études ou des activités éducatives. Mais il essaye de tous les protéger et les préserver. En leur cachant, par exemple, que des Juifs sont assassinés quotidiennement à Birkenau, dans des chambres à gaz. Malgré cela, la vérité sur la réalité de la situation parvient aux plus jeunes. La fumée et les odeurs émanant des crématoires ne pouvant être indéfiniment dissimulées. Par conséquent, les éducateurs tentent de leur changer les idées.
Maintenir un corps sain pour préserver une âme saine
Même dans les camps, Fredy entretient sa forme, comme il faisait à Prague et Theresienstadt. Avec ses moniteurs, il organise des entraînements sportifs, des tournois et des compétitions de football et de basket pour les enfants. Yehouda Bacon, peintre juif rescapé de la Shoah, raconte à ce sujet :
"Nous étions divisés en groupes. Chaque groupe avait son entraîneur. Fredy nous racontait des histoires, nous apprenait à chanter, nous faisait cours, comme à l'école. Souvent, nous préparions des spectacles. Parfois, le matin, Fredy nous emmenait pour une promenade dans la neige, nous nous déshabillions, et ainsi, nous nous endurcissions."
Ruth Bondi se souvient :
"Fredy demandait aux enfants de se baigner dans l'eau boueuse de Birkenau, même pendant les grands froids d'hiver, quand six ou huit d’entre eux avaient pour serviette un bout de chiffon. Les instructeurs vérifiaient la propreté des mains, du cou et du nez pour éviter la propagation de poux ou autres maladies infectieuses."
Autre témoignage, celui de Nili Keren :
"Maintenir un corps sain pour préserver une âme saine au cœur du camp d'extermination de Birkenau : tel était le seul objectif des moniteurs et de Fredy Hirsch."
Le 11 février 1944 Fredy fête son 28e anniversaire. Pour l’occasion, les enfants lui ont préparé une fête surprise. Les plus petits entonnent un chant de remerciement sur la mélodie d'une chanson enfantine tchèque :
Nous sommes des petits musiciens
Maintenant, nous pouvons
Venir au jardin d’enfants
Pour bénir Fredy.
Le 8 mars, les enfants arrivés de Theresienstadt par le même convoi que Fredy Hirsch sont envoyés dans les chambres à gaz. Ce même jour, Fredy s’éteint lui aussi. Il aurait vraisemblablement décidé de mettre fin à ses jours.
Ruth Bondi raconte :
"Sa fierté, l’exemple personnel qu’il voulait incarner, la responsabilité qu’il s’était donnée pour préserver la vie des enfants étaient sa force motrice de vie. Jamais il n’aurait pu accepter d’être le seul à survivre, et se dresser sain et sauf, au lendemain de leur extermination, confronté au vide laissé par les enfants de son école.