C'est le cas de Petr Ginz, jeune enfant prodige d'origine tchèque. Fils aîné d’Otto et Marie, il voit le jour le 1er février 1928 dans une famille juive bien établie de Prague. Deux ans plus tard, une sœur cadette, Chava, lui succède. Petr et Chava mènent une enfance heureuse, encouragés très tôt à assumer leur part de responsabilités au sein du foyer. Elevés à domicile jusqu’à leur entrée à l’école primaire, ils pratiquent beaucoup de sports, motivés par une mère férue de gymnastique. Pendant les vacances d’été, la famille a l’habitude de louer un bungalow en dehors de Prague, et l’hiver, d’aller skier à la montagne.
Expulsé de l’école en 1940, suite à l’invasion de la Bohême-Moravie et la mise en œuvre de la politique antisémite nazie, Petr intègre un établissement dit expérimental à Nusle, qui propose un enseignement non conventionnel aux enfants brillants. Conscients de son potentiel, ses parents veulent ainsi l’encourager à développer ses talents littéraires et artistiques. Mais très vite, il en sera également exclu en raison de ses origines juives. Il célèbre sa Bar-Mitsvah à 13 ans, à la synagogue Maisel de Prague, puis, par une intime célébration en famille, à la maison. Et poursuit ses activités d’écriture.
En octobre 1942, Petr est déporté dans le ghetto de Terezin, seul, sans famille, à tout juste 14 ans. Malgré son jeune âge, il a déjà écrit quelque 8 romans de science-fiction et tient également un journal intime, entamé en septembre 1941 : il y consigne les peurs, les difficultés croissantes et l’incertitude de la population juive de Prague occupée par les nazis, mais aussi, son exubérance et sa joie de vivre. Ses notes et ses dessins témoignent d’un grand talent littéraire et pictural.
Dons précoces
Son don pour l’écrire va continuer de s’exprimer dans le ghetto de Terezin. Petr Ginz est incarcéré dans un bloc de garçons adolescents, eux aussi déportés sans leurs parents. Ensemble, ils mettent en place un système d’autonomie pour gérer leur vie sur un mode collectif. Surtout, ils créent et publient un magazine du nom de Vedem (Nous menons), en tchèque. Au sommaire : textes loufoques ou tragiques, bandes dessinées, essais, poésie… Un aperçu édifiant de résilience et de créativité de la part de ces jeunes auteurs, même dans des conditions aussi difficiles. Petr Ginz en est le rédacteur en chef et tient sa propre rubrique pour laquelle il va interviewer des artisans du ghetto ; il illustre aussi certaines des couvertures.
En parallèle, Petr Ginz s’adonne au dessin, son refuge, qui lui permet de laisser libre cours aux méandres de son imagination. Certaines de ses créations survivront à la Shoah. Comme son célèbre dessin, Paysage lunaire, une représentation de la Terre vue de la Lune.
En 2003, à l’approche du lancement de la navette spatiale Colombia, Ilan Ramon, premier astronaute israélien de l’Histoire, demande à emporter avec lui des objets liés à la Shoah. Yad Vashem lui remet une copie du Paysage lunaire de Ginz. Ramon, lui-même descendant de rescapés, déclare alors avant son départ : “Je sens que cette mission est la réalisation, 58 ans plus tard, du rêve de Petr Ginz. Un rêve qui constitue la preuve ultime de la grandeur d’âme d’un garçon enfermé entre les murs du ghetto, des murs qui ne purent cependant triompher de son esprit. Le fait qu’il ait péri dans les crématoires d’Auschwitz atteste certes de la destruction de son existence physique, mais ses œuvres, conservées au sein de la collection d’art de Yad Vashem, prouvent quant à elles la victoire de l’esprit”. Le 1er février 2003, la navette se désintègre lors de sa rentrée dans l’atmosphère terrestre. Ilan Ramon et tous les membres de l’équipage périront.
Découvertes inattendues
Quelques semaines après la tragédie de la navette Columbia, une famille de Prague contacte Yad Vashem. Elle vient de découvrir dans son grenier familial d'autres objets personnels ayant appartenu à Petr Ginz : six cahiers manuscrits et des dessins, en grande partie des illustrations des romans de Jules Verne, son auteur préféré ; la première partie de l'un de ses romans ; deux autres cahiers d'articles et autres travaux littéraires. Cet héritage a été confié à Yad Vashem, à l'exception de quelques dessins et du journal intime, restés propriété de la sœur cadette de Petr, Chava Pressburger, installée en Israël.
Chava, née en 1930, rejoindra Petr à Terezin, en 1944, à 14 ans. Le frère et la sœur se retrouveront brièvement avant que Petr ne fasse partie d’un transport pour le camp d’Auschwitz. Il a 16 ans, le 28 septembre 1944, quand il est déporté avec son cousin Pavel Ginz à bord du convoi « Ek ».
Restée à Terezin, Chava vit très mal leur départ, inquiète de leur sort. Elle restera sans nouvelles de Petr jusqu’à la fin de la guerre. Ce n’est qu’à la Libération qu’elle apprendra la mort de son frère, à Auschwitz. Petr Ginz a été gazé en octobre 1944, peu après son arrivée au camp d’extermination. A la fin de la guerre, Chava retrouve ses parents Marie et Otto qui ont eux aussi survécu à la Shoah. Elle remplira par la suite des Feuilles de témoignage à la mémoire de son frère Petr et de son cousin Pavel.