En mars dernier, Yad Vashem fermait ses portes, sous le coup de restrictions sanitaires mises en place à l’échelle nationale pour répondre à la pandémie de COVID-19. Pour autant, si l’institution a été contrainte de refuser des visiteurs physiques, pas question pour elle de cesser ses activités de diffusion et de commémoration de la Shoah. En cette ère du tout numérique, Yad Vashem a su intensifier ses actions digitales et sa portée en ligne, avec en prime, plusieurs innovations réussies. Petit tour d’horizon
Si les visiteurs ne viennent pas à Yad Vashem…
Quand, à la mi-mars, le campus de Yad Vashem se vide de ses visiteurs et de l’essentiel de ses employés, les préparatifs pour la Journée de commémoration de Yom Hashoah battent leur plein. Mais le confinement imposé va venir changer la donne. Pour cette année 2020, pas de cérémonie officielle d’ouverture, sur la place du ghetto de Varsovie, en présence d’une vaste audience composée de rescapés, d’officiels et du grand public. Mais une commémoration enregistrée à l’avance et retransmise sur le site (en 6 langues, dont le Français) et la page Facebook de Yad Vashem, le lundi 20 avril au soir. L’essentiel de ce qu’il fallait savoir sur Yom Hashoah était disponible via un mini-site spécialement mis en ligne : rappel du thème 2020 - le sauvetage de Juifs par des Juifs, solidarité dans un monde en désintégration ; portraits des rescapés de la Shoah choisis par Yad Vashem pour allumer les flambeaux de la mémoire avec vidéos en français de leurs parcours ; liens vers des expositions virtuelles.
La lecture publique des noms, autre moment fort de la journée de Yom Hashoah, se déroule traditionnellement le lendemain, avec des visiteurs qui se succèdent dans la Crypte du Souvenir pour prononcer à voix haute les noms de leurs proches, ou d’anonymes, disparus dans la Shoah. Une façon de perpétuer la mémoire et de restaurer l’identité des 6 millions de Juifs assassinés par les nazis. Cette année, au vu de l’interdiction des rassemblements publics, Yad Vashem a invité le public à prendre part à une lecture virtuelle, à l’échelle mondiale. Les participants se sont filmés en train de réciter les noms des victimes dans une courte vidéo ensuite postée sur les réseaux sociaux avec les hashtags #RememberingFromHome #ShoahNames. "Rejoignez-nous et commémorez cette journée du souvenir cette année, depuis chez vous", avait ainsi appelé le président du comité directeur de Yad Vashem, Avner Shalev, insistant : "en dépit des circonstances uniques, cette année, notre message reste le même - nous n’oublierons jamais ces noms". Résultat : plus de 80 000 personnes ont répondu présent à cette initiative réalisée en plusieurs langues, avec une forte participation du public francophone. Yad Vashem a ensuite rassemblé certaines des vidéos postées par des Internautes de 4 à 96 ans et issus de plus de 50 pays, pour créer une lecture publique des noms des victimes de la Shoah, en ligne, sous la forme de 2 films d’une heure environ, un pour le public israélien et l’autre pour le public international, s’est ainsi félicité Gabi Duec, à la tête des réseaux sociaux et projets numériques du Département numérique de la division de la Communication de Yad Vashem.
… Yad Vashem ira aux visiteurs
Si ce projet a pu être possible, c’est grâce à la richesse des bases de données en ligne de Yad Vashem. Il faut d’ailleurs signaler la hausse de recherches et de fréquentation sur ces outils, de la part d’Internautes du monde entier.
Outre son site Internet qui se décline en 8 langues, dont en Français, le département numérique de Yad Vashem - rattaché à la division de la Communication - affiche également une forte présence sur les réseaux sociaux. A sa tête, Dana Porat, qui gère d’une main experte la portée digitale de l’institution. "Le Mont du Souvenir qui héberge Yad Vashem est dynamique. Et nous faisons tout pour l’être également via les plateformes numériques qui s’offrent à nous. Avec la crise du COVID-19, nous avons encore essayé de renforcer notre présence. Certes, le musée et le campus étaient fermés aux visiteurs, mais l’activité de Yad Vashem a continué », explique-t-elle.
Pour preuve, la richesse du contenu mis en ligne en français à l’occasion de Yom Hashoah, et depuis. Pour illustrer le thème 2020 de la Journée du souvenir de la Shoah et de l’héroïsme, le parcours du faux-consul espagnol à Saint-Etienne, Montero-Skornicki a été présenté sous la forme d’une mini-exposition. Ce Polonais d’origine, arrivé en France dans les années 1920, a réussi à se faire passer pour un caudillo espagnol, qui profitera de l’immunité de son consulat pour sauver des Juifs de la déportation. Également mises à l’honneur, deux figures de la résistance juive française : Judith Geller et Daniel Samuel, qui se sont illustrés dans le sauvetage d’enfants, à l’aide d’un canard en bois sous forme de jouet pour la première, et la fabrication de faux tampons, pour le second.
Dès le déferlement de la pandémie, Yad Vashem s’est efforcé d’aller à la rencontre de son public. « Nous étions déjà très présents dans le monde numérique, mais nous avons voulu intensifier nos moyens d’actions », poursuit Dana Porat. Parmi les idées retenues, proposer une immersion dans les activités de Yad Vashem par la rédaction de blogs explicatifs sur le fonctionnement de ses différents départements.
Ainsi, en mars, un blog en deux parties a été mis en ligne revenant sur l’origine des Feuilles de témoignages et de la Base de données des noms des victimes de la Shoah, qui permettent de comprendre les enjeux et les défis auxquels l’institution est confrontée pour restituer l’identité des victimes de la folie nazie. Comment procède Yad Vashem pour collecter ces noms ? Pourquoi parle-t-on de 6 millions de Juifs décédés dans la Shoah ? Sera-t-il possible de retrouver les identités de chacune des victimes ? Autant de questions auxquelles ce blog tente de répondre.
Autre service mis en lumière, en juin : celui des objets de Yad Vashem. Là encore, un blog en deux parties est consacré à cette collection si particulière de l’institution, forte de plus de 34 000 artéfacts, tous porteurs de l’histoire d’une victime de la Shoah. Une paire de lunettes décomposée qui témoigne de l’arrivée à Auschwitz d’une mère et sa fille ; un jeu d’échecs fait maison, qui raconte la proximité du peuple juif avec ce jeu de société ; un livre de cuisine, qui rappelle que les prisonnières ont voulu rester des femmes avant tout, même si la machine nazie a tenté de les priver de leur humanité. Autant de témoins silencieux, aux matériaux et origines diverses, que Yad Vashem s’emploie à faire parler, toujours fidèle à sa mission de perpétuer la mémoire de la Shoah.
Le numérique : une fenêtre sur le monde
Malgré ses portes closes, Yad Vashem a su profiter de la fenêtre sur le monde offerte par le numérique. Nombre de conférences zoom ont ainsi été mises en place, par différents départements de l’institution. Le Bureau francophone des relations internationales, par exemple, s’est lancé début mai dans une série de rencontres jusque-là hebdomadaires, le mardis avec des experts francophones de Yad Vashem, ou des intervenants extérieurs. Parmi les thèmes abordés : la banalisation de la Shoah ; la libération vue à travers l’art des rescapés ; le sport pendant la Shoah ou encore un hommage du caricaturiste Michel Kichka à son père Henri, rescapé et mort du COVID-19. « Nous avons voulu resserrer les liens avec nos amis de par le monde, et ainsi, ensemble, lutter contre l’obscurantisme », note Miry Gross, directrice du Bureau francophone, « il nous est apparu important que Yad Vashem, institut de premier plan sur la scène internationale de la mémoire, se propose de réfléchir avec son public sur différents sujets. »
Autre département emblématique de Yad Vashem qui a dû s’adapter aux nouvelles contraintes sécuritaires : l’Ecole internationale pour l’enseignement de la Shoah. « Avec l’arrivée du coronavirus, le monde de l’éducation a été complètement perturbé », pointe Yoni Berrous, responsable des programmes éducatifs pour les communautés juives européennes, « notre première préoccupation a été de renforcer les contacts avec les différentes communautés d’Europe, certaines lourdement touchées par le virus, puis de leur proposer des solutions alternatives ». Son département a ainsi accompagné, à distance, les commémorations de Yom Hashoah organisées par zoom par l’école Maimonide. Il envisage également la tenue d’une conférence internationale virtuelle, pour les enseignants du monde entier, en décembre 2020.
Juillet est un mois d’activité intense pour l’Ecole internationale. En temps normal, ses couloirs regorgent d’enseignants venus assister, des quatre coins du globe, à un des nombreux séminaires en diverses langues. A l’image de tous les départements de l’Ecole, Arièle Nahmias, directrice du Bureau francophone du Département européen de l’Ecole internationale, a dû reporter à l’année prochaine ses 3 séminaires prévus. « A la place, nous proposons un webinaire de 3 jours avec présentation de nos activités et panels de discussions, une forme d’introduction au séminaire de l’année prochaine, pour permettre aux participants de faire connaissance entre eux et avec notre institution ». Au programme : sessions collectives de travail, ateliers, visite virtuelle de certains lieux du campus, suivie d’un débat. Une sorte de pré-séminaire qui devrait se prolonger même au-delà de la crise sanitaire. Envisagé depuis des années, il était impossible à organiser physiquement. Il est désormais possible grâce aux avancées technologiques. Sur le même modèle, des post-séminaires, là encore difficiles à mettre en place pour des raisons logistiques, pourront être tenus via la plateforme zoom.
Nombre de rencontres virtuelles ont été organisées par l’Ecole de Yad Vashem. Des sessions zoom qui ont permis des réunions mensuelles d’anciens participants aux séminaires de Yad Vashem. « Il est important pour nous de garder contact avec les anciens, de leur rappeler la pédagogie de Yad Vashem et les accompagner dans les projets qu’ils mettent en place au sein de leurs établissements », poursuit Arièle Nahmias. Son département francophone a ainsi organisé des conférences hebdomadaires avec d’anciens participants aux séminaires mis en place avec la Maison Anne Frank, ou, le 22 juin dernier, une mini-journée en anglais en coopération avec Yahad In Unum, pour commémorer les 79 ans de l’opération Barbarossa.
« Même si nous ne pouvons pas continuer à diffuser le même contenu, Yad Vashem s’est efforcé d’aller à la rencontre des enseignants, à réfléchir à des solutions », conclut Yoni Berrous. Arièle Nahmias lui fait écho : « La crise nous a contraints à trouver des idées novatrices sur le plan éducatif et certaines se sont avérées prometteuses ».