Gisi Fleischmann, Anna Braude Heller, Luba Bielicka - trois Juives qui ont œuvré sans relâche et de façon désintéressée pour sauver leurs semblables lors de la Shoah. Leurs parcours et ceux de quelques autres femmes ont été mis à l'honneur lors d'un récent séminaire organisé par Yad Vashem : "Car si tu te tais maintenant" (Livre d'Esther), sur les sauveuses juives pendant la Shoah.
"L'idée centrale, conçue et développée par l'Allemagne nazie et d'autres, consistait à diviser la société juive en molécules et les priver de l'humanité, la vitalité et la solidarité dont la vie juive a fait la preuve à travers l'histoire", a déclaré le président de Yad Vashem, Avner Shalev, en introduction. "Mais en dépit des énormes difficultés, nous ne nous sommes pas désagrégés, nous n'avons pas perdu notre humanité. Cette humanité au sein du peuple juif qui s'est illustrée par la continuation de la solidarité avec l'entourage. Les Juifs ont non seulement préservé leur unité, mais ont également exprimé leur volonté d'aider leurs semblables, au-delà de leur propre famille. Il est de notre devoir de transmettre cette notion à notre peuple, aux générations suivantes et au monde entier".
Et Avner Shalev d'aller plus loin :
"Les femmes ont fait preuve d'une force et d'une volonté d'agir extraordinaires pendant la Shoah... Quand le leadership communautaire s'est effondré, ce sont les femmes et les jeunes filles, fortes d'un rôle de premier plan dans les mouvements de jeunesse, qui ont permis de mettre sur pied un pouvoir venu de la base. Leurs histoires enrichissent nos vies et constituent un exemple réel pour nous tous - et il en existe de nombreuses."
Ce phénomène des sauveuses juives est historiquement peu répandu dans la conscience publique. "Au moment de la création de l'Etat d'Israël, on ne savait pas grand-chose sur le sauvetage des Juifs par des Juifs", a ainsi expliqué Haim Roth, président du Comité israélien pour la reconnaissance de l'héroïsme des sauveteurs juifs pendant la Shoah :
"Les habitants juifs de Palestine mandataire – le Yishouv - qui s'étaient battus pour l'indépendance, consacraient alors la notion de combat armé. Il leur était dur de comprendre pourquoi les Juifs d’Europe n'avaient pas pris les armes comme eux ; et combien les conditions étaient différentes."
Et Haim Roth de citer d'autres raisons qui expliquent également le manque de sensibilisation du public israélien au phénomène des sauveteurs juifs pendant la Shoah : les opérations de sauvetage étaient en grande partie secrètes, même au sein des organisations, afin d'empêcher toute fuite d'informations sur les activités clandestines au cas où l'un des membres était attrapé par la Gestapo ; et les sauveteurs n'ont pas souhaité étaler leurs faits de résistance, se sentant bien souvent coupables de n'avoir pu sauver davantage de leurs frères juifs.
Des héroïnes juives
Nombre de femmes travaillaient dans les services de secours et d'entraide. C'est le cas d'Anna Braude Heller, qui dirigeait l'hôpital du ghetto de Varsovie. Alors que la situation a commencé à empirer, Braude Heller a continué à prendre soin de ses patients. Ses bons liens avec ses collègues allemands et polonais lui ont valu plusieurs offres de quitter le ghetto, mais elle s'est refusé à abandonner les enfants sous ses soins. Elle trouvera la mort lors du soulèvement du ghetto de Varsovie, alors qu'elle tentait de s'abriter dans un bunker.
Autre héroïne du ghetto de Varsovie : l'infirmière Luba Bielcka, qui travaillait à l'hôpital avec Anna Braude. Pendant la Shoah, elle a continué à diriger l'école d'infirmières créée avant la guerre. Au cours des déportations de masse de l'été 1942, ses étudiants seront rassemblés sur la place de l'Umschlagplatz, avec ses jeunes malades. Bielcka obtiendra la libération de certains de ses élèves en faisant valoir leurs diplômes. Et conduira également clandestinement les enfants loin de l'Umschlagplatz, dans une ambulance, leur évitant ainsi la déportation. Au cours de l'une des Aktionen (rafle), elle s'était réfugiée dans la cave avec un groupe d'enfants et quelques autres infirmières. Grâce à ses relations avec des infirmières polonaises et des membres du Parti communiste, elle réussira à les faire sortir clandestinement du ghetto avec d'autres jeunes malades. Elle a survécu à la Shoah et est décédée en 1973.
Le parcours de Gisi Fleischmann, présenté par Hava Baruch, responsable du bureau d'Europe centrale à l'Ecole internationale d'études sur la Shoah de Yad Vashem, n'est pas moins fascinant. Cette mère juive de deux enfants était une représentante de la Wizo, l'Organisation internationale des femmes sionistes, en Slovaquie. Fleischmann a aidé de nombreux réfugiés venus en Slovaquie, dont 336 Juifs de Prague qu'elle fera venir grâce à ses activités et pour lesquels elle trouvera des cachettes convenables. Quand les conditions ont commencé à se détériorer, Fleischmann a rejoint le "Groupe de travail", qui s'était donné pour mission de sauver les Juifs de Slovaquie en soudoyant des Allemands de haut rang pour mettre fin aux déportations. Pendant une brève période et pour diverses raisons, les déportations vont cesser, ce qui a incitera le Groupe à envisager l'arrêt de toutes les déportations à travers l'Europe, en échange de pots-de-vin. Fleischmann a rencontré de nombreux hauts fonctionnaires pour tester la faisabilité du plan, ainsi qu'avec des organisations juives à l'échelle continentale pour discuter de son financement. Mais surveillée par la Gestapo, elle sera finalement arrêtée pour une période de quatre mois et détenue dans de terribles conditions.
Pendant sa période d'activité, Fleischmann avait reçu plusieurs propositions pour s'échapper du territoire occupé par les nazis, qu'elle repoussa toutes. En 1944, à bord de l'un des derniers convois pour Auschwitz, elle connaissait exactement l'issue de sa destination.