Il s’agit de sa première visite à Yad Vashem. Au sortir de l’Institut international pour la mémoire de la Shoah, Michel Drucker est sous le coup de l’émotion :
“Je savais que ce serait un choc pour moi de venir ici. J’ai presque envie de rester silencieux, tellement je suis impressionné par ce que j’ai entendu, ce que j’ai vu”.
En ce mois de juin 2018, celui qui occupe le petit écran depuis 54 ans et s’essaye désormais aux planches avec un one-man-show, est venu présenter son spectacle “Seul… avec vous” aux francophones d’Israël. L’occasion d’un “voyage identitaire”, d’un “parcours initiatique”, comme il le décrit, dont Yad Vashem constitue, pour lui, une étape indispensable. Il s’y préparait, il voulait venir, pour autant, le passage par le Musée d’histoire de la Shoah à Jérusalem aura ébranlé le fils d’Abraham Drucker et Lola Schafler, peut-être plus encore qu’il ne s’y attendait :
“Je connaissais beaucoup de choses, mais je ne savais pas qu’il y avait un million et demi d’enfants - dont certains en bas âge - sur les 6 millions de victimes qui ont été assassinées. Je ne savais pas que dès 1933-1934, la machine nazie et hitlérienne était en marche avec cette organisation, effrayante, hallucinante. J’ai découvert que les enfants apprenaient à éliminer les Juifs avec des jeux de société. J’ai découvert avec des maquettes ce que cette organisation de mort était. C’est impressionnant.”
Les racines de Michel Drucker prennent leur source en Europe orientale. “Je suis un ashkénaze, je viens de l’empire austro-hongrois. Mon père est originaire de Bucovine, une province de Roumanie, et ma mère était viennoise. Ils parlaient allemand.” C'est au milieu des années 1920 que ses parents s’invitent dans la France de l’entre-deux-guerres. Ils se marient et obtiennent la nationalité française en 1937. Entre-temps, Abraham Drucker a étudié la médecine.
Le 28 avril 1942, sur dénonciation, il est arrêté par la Gestapo et interné dans des camps français, 36 mois durant. A Compiègne d’abord, au camp de Royallieu, puis à Drancy, à partir de mai 1943, dont il sera libéré en août 1944. Parlant allemand couramment et médecin de profession, il sera réquisitionné pour exercer comme médecin-chef, un statut qui lui permettra d’échapper aux wagons plombés et aux camps de la mort. “C’était un simulacre de médecine”, note Michel Drucker, “il n’y avait aucun médicament, aucun équipement”.
Michel, né en 1942, a lui été caché dans un petit village de Bretagne :
“Il y a eu beaucoup de collaborateurs en France, mais il y a eu aussi beaucoup de Justes, et c’est bien de leur rendre hommage”.
Quand il retrouve son père, au terme de ses 36 mois d’internement, il ne le reconnaît pas. “Qui est ce Monsieur ?”, demandera le jeune garçon.
Dans les années 1960, Michel Drucker est rattrapé par l’histoire. Il effectue son service militaire au camp de Royallieu, reconverti en base - précisément dans le baraquement qui abritait, 18 ans plus tôt, l’infirmerie d’Abraham Drucker. Son père refusera de venir lui rendre visite.
Compiègne, encore. “C’est de là que sont partis les premiers convois pour Auschwitz, et j’ai effectué mon service à 500 mètres”, note Michel Drucker. Incontestablement, l’homme n’est pas étranger au sujet, lui pourtant issu d’une famille où la Shoah ne se racontait pas.
A la mémoire d’Abraham et de Lola, mes chers parents. Am Israël Haï !
Sportif dans l’âme et passionné de cyclisme, il connaît l’histoire du champion italien Gino Bartali, vainqueur du Tour de France et du Giro d’Italie, reconnu Juste parmi les Nations en 2013, “qui n’a jamais voulu être décoré de son vivant” ; ou les exploits olympiques du coureur Jessie Owens, lors des Jeux de 1936, à Berlin. Il a lu l’histoire de ce masseur finlandais, Felix Fersten, qui a sauvé de nombreux Juifs de la mort en échange de ses soins apportés à Himmler, qu’il était le seul à pouvoir soulager de douleurs intenables. Il sait aussi qu’Elie Wiesel, visitant Yad Vashem, s’était reconnu sur la photo des baraquements d’Auschwitz.
Sa mémoire est précise, avisée, plurielle, à l’affût aussi de nouvelles informations. Tout au long de la visite, Michel Drucker s’interroge et interroge. Des questions le taraudent, qu’il repose à plusieurs reprises à son guide, Ariel Kandel, diplômé de l’école internationale pour l’enseignement de la Shoah de Yad Vashem : “Mais comment le reste du monde s’est tu ?” ; “Ces usines, il a fallu les construire, personne n’a rien vu ?”
Venu en petit comité en toute discrétion et humilité, Michel Drucker s’octroie, le temps d’une matinée, une immersion vive dans le passé. C’est à son père qu’il pense, en particulier, au sortir du Musée : “J’aurais envie de lui dire, ‘je comprends mieux ce que tu as voulu taire, et je comprends mieux pourquoi, dans les années 1955, dans ce petit village de Normandie où tu t’es installé, tu as voulu découdre définitivement l’étoile jaune.’”
“Yad Vashem, c’est la mémoire de la Shoah, c’est quelque chose d’impressionnant”, poursuit-il :
“Je suis très heureux d’être venu ici et j’inviterai beaucoup de mes amis, juifs ou non-juifs à le faire. Puisque nous célébrons cette année les 70 ans de l’Etat d’Israël, je crois qu’il faudrait que la planète entière puisse défiler aussi, pour se rendre compte. Le devoir de mémoire est extrêmement important.”
Sur le livre d’or de l’institution, il a tenu à témoigner :
“En souvenir de ces martyrs que nous ne pouvons pas oublier. Je suis bouleversé par cette visite. Il y aura un avant et un après. A la mémoire d’Abraham et de Lola, mes chers parents. Am Israël Haï !”
Avec son passage à Yad Vashem, Michel Drucker, 76 ans, a un peu l’impression que “la boucle est bouclée” : “Je n’ai pas été élevé dans la tradition, mais en venant ici, je renoue avec mes racines, et je me rappelle que je viens de là”. Bien décidé à revenir pour approfondir ce qu’il n’a pas eu le temps de voir, il sait aussi qu’il lui reste encore une ultime étape à parcourir, dans le cadre de son voyage initiatique : un séjour à Auschwitz - “je redoute beaucoup, mais j’irai”, affirme-t-il.