L’ordonnance stipule en ces termes :
« Il est interdit aux personnes juives, à partir de l’âge de 6 ans accomplis, de paraître en public sans porter l’étoile des Juifs. »
A cette époque, la France est scindée en deux : la zone occupée par l’Allemagne au nord et la zone dite libre sous autorité du régime de Vichy au sud. Le texte ne concerne que les Juifs de zone occupée, mais va marquer pour eux le début d’une nouvelle ère.
Dès l’été 1940, après la défaite en juin contre l’Allemagne, les Juifs de France sont pris pour cible, et les mesures antijuives s’intensifient à mesure que l’occupation allemande s’installe. Si la menace est la plus tangible en zone occupée, les Juifs de la totalité du territoire voient une réduction de leurs libertés. Le 3 octobre 1940 le gouvernement de Vichy promulgue « le premier statut des Juifs », qui définit ce qu’est un Juif et lui interdit l'accès à la fonction publique. Il est suivi et remplacé en juin 1941 par un deuxième « Statut des Juifs » venu allonger la liste des professions interdites et ouvrir la voie à un recensement obligatoire dans la zone non occupée. A noter que le « Statut des Juifs » est une initiative française, adoptée sans aucune pression de la part des Allemands.
L’ordonnance du 29 mai 1942 sur le port de l’étoile s’inscrit dans la volonté nazie de distinguer entre les Juifs et le reste de la population française et de les empêcher de mener une vie normale. Elle se veut très précise :
« L’étoile des Juifs consiste en une étoile à 6 branches, noire, de la grandeur de la paume, en étoffe jaune, portant en noir l’inscription « Juif ». Elle doit être portée, cousue solidement, de façon apparente sur la poitrine, sur le côté gauche du vêtement. »
« Chaque Juif recevra 3 étoiles et devra donner à cet effet un point de sa carte de textile. »
La décision est quasi-immédiate, puisqu’elle prend effet à dater du 7 juin 1942. Les Juifs concernés par cette mesure doivent donc être en possession de leurs insignes le 6 juin au plus tard, intime le préfet. Et d’insister : « Les Autorités allemandes précisent que la date d’entrée en vigueur doit être rigoureusement respectée ».
Tout contrevenant aux prescriptions de l’ordonnance est passible d’une peine de prison ou d’une amende. Plus encore, selon les termes du document, « des mesures de police, notamment le transfert dans un camp de Juifs, peuvent être ordonnées ».
Craignant pour leur sécurité, de nombreux Juifs quittent alors Paris. Certains pensent être plus à l’abri à la campagne, d’autres cherchent à franchir la ligne de démarcation pour rejoindre la zone non occupée, où les Juifs ne sont pas astreints au port de l’étoile jaune.
Dans la France du régime de Vichy, le gouvernement a refusé d'appliquer l'ordre, craignant un vent de protestation de la population. Même après novembre 1942, lorsque les Allemands occuperont toute la France, ils s'abstiendront de faire porter l'étoile juive dans la zone sud, par crainte d’une forte résistance parmi la population.
L’étoile jaune de Dora : souvenirs d’une adolescente
L’étoile jaune n’était pas seulement un symbole de la séparation absolue entre les Juifs et le reste de la population, elle permettait aussi que les Juifs soient instantanément identifiés comme tels et de ce fait humiliés et éventuellement déportés.
C’est ce qu’a pu expérimenter Dora Weinberger (née Weissman), née en 1931. Après la prise de pouvoir d'Hitler en Allemagne, sa famille s'installe à Metz avant d’être évacuée vers Angoulême quand l’Alsace-Lorraine est annexée par l’Allemagne. C’est dans cette partie du Sud-Ouest occupée par les Allemands, que Dora se trouve quand le port de l’étoile jaune devient obligatoire. Elle a alors un peu plus de 10 ans :
« Cela a été très difficile pour moi. Nous avons reçu l'étoile jaune auprès des services de la municipalité en échange de bons de vêtements. Le premier jour où j’ai porté l'étoile jaune à l'école, j'ai vu que certaines de mes camarades cachaient la leur avec leurs livres ou leur sac. Personnellement, je n'ai jamais eu honte et ne l'ai jamais cachée. Peut-être étais-je naïve, ou peut-être ne savais-je pas à quel point la situation était grave. Ce jour-là, l'enseignant a fait asseoir les filles portant l’insigne au fond de la classe et nous a ignorées. Cela m'a vraiment exaspérée, mais j'ai réussi à me concentrer sur mes études, et en particulier sur l'examen d’entrée pour le lycée.
Le port de l’étoile jaune stigmatise les Juifs et perturbe leur quotidien. Les lieux publics - piscines, parcs, cinémas, bibliothèques – leur sont alors interdits d’accès. Dora, petit rat de bibliothèque, se souvient :
« Cela a affecté notre mode de vie. Jusque-là, ma mère et ma sœur nous emmenaient tous les jeudis aux bains publics pour se préparer au Shabbat. Je ne pouvais plus continuer à emprunter des livres à la bibliothèque comme je le faisais auparavant. La bibliothécaire, avec qui j’entretenais pourtant des relations amicales, m'a dit un jour alors que je venais emprunter des livres : ‘Donne-moi ces livres et sors d'ici. Tu ne peux pas revenir.’ Alors que je lui demandais pourquoi, elle a répondu : ‘Tu portes une étoile jaune.’ Je me suis assise sur les marches et j'ai commencé à pleurer.
Alors que les rafles et les Aktion s’intensifient, la famille de Dora décide de passer en zone libre. Direction Limoges. Ils s’installent dans le petit village de Lectoure. Au début de 1943, alors que le sort des Juifs empire et que la crainte de la détention grandit, Dora et sa sœur sont cachées grâce à l’intervention de l’OSE.
En 1948, Dora fait son aliyah avec sa mère et sa sœur. Elle épousera Moshe Weinberger avec qui elle aura deux enfants et devient professeur. Pendant des décennies, elle tait son expérience de la Shoah, allant même jusqu’à demander chaque année une autorisation spéciale pour ne pas assister aux commémorations de Yom Hashoah de son lycée. Puis un jour, sa classe de seconde est chargée d’organiser la cérémonie de l’établissement. Les élèves prévoient de parler du ghetto de Varsovie, mais elle leur suggère de raconter la Shoah en France :
« Je leur ai dit : ‘Vous savez, j’étais plus jeune que vous, et j’ai porté l’étoile jaune. Nous avons terriblement souffert.’ Un silence total a plané dans la salle e cours. Les élèves ne pouvaient croire ce que je leur racontais. Ils n’étaient absolument pas au courant de ce qui avait pu se passer en France. L’un d’entre eux m'a même demandé s'il y avait eu la Shoah en France. »
Après cette expérience, Dora Weinberg commence à s'intéresser au sujet, à faire des recherches et à étudier. Depuis 20 ans, elle fait partie de l’association d’enfants cachés en France pendant la Shoah, Aloumim. Elle siège également au sein de la Commission pour la reconnaissance des Justes parmi les Nations.