« Ces enfants dont nous avions le charge riaient le jour et pleuraient la nuit » Rachel Plodmacher-Levine
De novembre 1939 à janvier 1944, la maison d'enfants de Chabannes offre à 284 enfants un abri sûr dans le centre de la France. Dirigé par Félix Chevrier, un journaliste, musicien et activiste social, qui fut reconnu par la suite comme Juste des nations, le château de Chabannes est une maison de l'OSE. Un grand nombre des membres du personnel sont juifs et la plupart ne possèdent pas la citoyenneté française. Lorsque la maison d'enfants ouvre ses portes à Chabannes, il s'agit d'une institution légale connue des autorités françaises. Les membres du personnel sont enregistrés auprès de la mairie et certains ont des cartes d'identité, des titres de séjour ou des permis de travail.
Des enfants, âgés de 5 à 18 ans, vivront à Chabannes pendant des semaines, des mois et parfois même des années. Les dortoirs sont organisés par tranches d'âge. Chevrier et son personnel s'efforcent de préserver l'identité juive des enfants. Ils marquent le shabbat et célèbrent les fêtes juives. Ils sont particulièrement fiers de l'orchestre des enfants de Chabannes, qui joue après la clôture du shabbat tandis que tout le monde danse.« A Chabannes... je n'avais pas mes parents, mais j'étais avec mon grand frère... j'étais avec d'autres enfants. Je me souviens seulement d'avoir été triste... Un petit garçon de cinq ans ne souffre pas tous les quarts d'heure, seulement de temps à autre. Il est triste, c'est tout. Il veut son père, il veut sa mère, il a faim... De temps en temps, mes parents venaient nous rendre visite et je disais toujours à mon père : "Serre-moi fort". » Yosef Shmuel Kolodny
Jusqu'à l'été 1942, les enfants fréquentent l'école primaire locale Saint-Pierre-de-Fursac. Elle est dirigée par Renée Paillassou dont la sœur, Irène, est l'une des institutrices de l'école. Les sœurs Paillassou, qui seront reconnues par la suite comme Justes des nations, sont particulièrement dévouées à l'égard de leurs élèves juifs. Etant originaires de différents pays d'Europe, la plupart des enfants ne parlent pas français mais les sœurs Paillassou organisent pour eux des cours de français. Les autres enfants travaillent dans l'atelier de maroquinerie de Josef Kenig, l'un des éducateurs, dont le fils David est également caché au château de Chabannes.
En raison du grand danger qu'implique le fait de cacher les enfants, certains d'entre eux quittent Chabannes de temps à autre pour se rendre dans une famille ou dans une autre maison d'enfants pendant quelque temps, avant d'être ramenés au château.
Les arrestations de Juifs étrangers en zone non-occupée, la moitié sud de la France qui se trouve sous le contrôle du régime de Vichy, débutent à la fin du mois d'août 1942. Les Juifs sont emprisonnés dans des camps situés sur le sol français, puis déportés vers l'Est. Tard dans la soirée du 26 août 1942, des gendarmes français envahissent le château de Chabannes et cherchent à arrêter quelques-uns des garçons les plus âgés. Ils arrêtent finalement cinq jeunes garçons et un membre du personnel et les envoient dans le camp de concentration de Nexon à côté de Limoges. L'un des éducateurs, Ernst Jablonski, est également arrêté mais grâce à certains des enfants, qui l'encerclent et détournent l'attention des gendarmes, il parvient à se réfugier dans une forêt voisine. Parmi les six personnes arrêtées ce soir-là, deux seulement survivront.
Le 1er septembre 1942, une nouvelle rafle a lieu dans la maison d'enfants. Cette fois, Irène Paillassou est parvenue à avertir Chevrier de l'imminence de la rafle et celui-ci veille à faire cacher les enfants. Les gendarmes lui présentent une liste de dix noms. Tirant profit des incohérences de la liste, Chevrier déclare aux gendarmes que quatre des dix noms lui sont inconnus et que les six autres se sont enfuis.
En novembre 1942, l'Allemagne nazie prend le contrôle des régions jusqu'alors gouvernées par le régime de Vichy, accentuant encore davantage le sentiment d'insécurité de ceux qui veillent sur les enfants.
La maison d'enfants de Chabannes fermera ses portes à la fin de l'année 1943 et les enfants seront transférés dans un réseau de maisons supervisé par Georges Garel. Certains des enfants seront conduits en Suisse clandestinement. En 1944, après le départ des enfants, le château de Chabannes sera utilisé par la Résistance française.