« Vous vous demandez pourquoi mon père a risqué sa vie et celle de tout le village pour sauver un étranger ? Mon père était un musulman fervent. Il était convaincu qu’on va au paradis lorsque l’on sauve une vie »
Notre ville natale est Pukë. Mon père possédait un commerce alimentaire. C’était le seul magasin de ce type à la ronde. Un jour, un camion allemand est arrivé avec dix-neuf prisonniers albanais en route pour les travaux forcés, ainsi qu’un Juif qui allait être fusillé. Mon père parlait très bien l’allemand. Il invita les nazis dans son magasin et leur servit à manger et du vin. Il les fit boire jusqu’à l’ivresse.
Pendant ce temps, il cacha un billet dans une tranche de melon qu’il remit au jeune Juif. Il l’enjoignit de sauter du camion et de fuir dans la forêt, jusqu’à l’emplacement indiqué. Son évasion mit les nazis en colère mais mon père protesta de son innocence. Ils emmenèrent mon père au village et le plaquèrent contre un mur pour le forcer à révéler où se cachait le Juif.
A quatre reprises, ils lui pressèrent un pistolet contre la tempe. Ils revinrent et menacèrent de mettre le feu au village si mon père ne passait pas aux aveux. Mon père tint bon et les Allemands finirent par s’en aller. Mon père récupéra l’homme dans la forêt et le cacha dans sa maison jusqu’à l’issue de la guerre. Le Juif s’appelait Yeoshua Baruchowiç. Trente familles vivaient au village, mais personne ne savait que mon père cachait un Juif. Yeoshua vit encore. Il est dentiste et habite au Mexique.
Raconté par Enver Pashkaj (fils d‘Ali Sheqer Pashkajs).
Le 18 mars 2002, Ali Sheqer Pashkaj a été reconnu Juste parmi les Nations par Yad Vashem.