La famille Eschwege - Francfort-sur-le-Main, Allemagne

LE 22 NOVEMBRE 1941, BERTA ET JOSEF ESCHWEGE, DE FRANCFORT, SONT DÉPORTÉS. TROIS JOURS PLUS TARD, ILS SONT ASSASSINÉS AU NEUVIÈME FORT À KOVNO. LEURS ENFANTS RÉUSSIRONT À QUITTER L'ALLEMAGNE

En 1932, la famille Eschwege vit à Schenklengsfeld, un village de l'est de la Hesse, en Allemagne. En 1933, on y dénombre 132 Juifs. Josef Eschwege enseigne à l'école primaire juive locale, qui compte une seule classe tous niveaux, où les enfants de tout âge étudient ensemble. Josef est également chantre et Shohet (abatteur rituel). Jusqu'à son mariage, Berta (née Adler) travaille elle aussi comme enseignante à l'école primaire juive. Le couple a 5 enfants : Shimon (né en 1922), Shlomo (né en 1923), Yehudit (née en 1925), Chana (née en 1926) et Nathan (né en 1930). En 1933, suite à la montée au pouvoir des nazis en Allemagne, l’abattage de viande rituel est interdit. En décembre de la même année, l'école juive est fermée : les enfants Eschwege commencent alors à fréquenter l'école chrétienne du village. Josef continue à leur donner des cours d’études juives.

En 1936, la famille déménage à Francfort-sur-le-Main, où Josef obtient un emploi à l'école primaire juive. Les enfants y sont inscrits ainsi que dans des mouvements de jeunesse : Shimon et Shlomo à "Bahad" (Brit Halutzim Datiyim - Ligue des pionniers religieux), et Yehudit et Chana à Ezra.

En octobre 1938, Shimon immigre en Eretz Israël (Palestine mandataire) avec l'Aliyah des jeunes, et rejoint "Mikve Israël". En novembre 1938, lors du pogrom de la Nuit de cristal, des émeutiers se rendent dans l'immeuble des Eschwege et tambourinent aux portes en criant : "Est-ce qu’il y a des Juifs ?" Un voisin allemand, actif au sein du parti nazi, leur répond : "Il n’y a que des honnêtes gens ici !" Le groupe repart, sans incident. Le 12 novembre, Josef va prier à la synagogue installée dans un orphelinat voisin. Ce jour-là, tous les fidèles présents sont arrêtés, dont Josef. Il est conduit à Buchenwald et libéré cinq semaines plus tard. Sans doute en raison de son service militaire lors de la Première Guerre mondiale, qui lui aurait permis d’obtenir sa libération. Il rentre chez lui, blessé et meurtri, le crâne rasé. Berta et Josef commencent alors à explorer tous les moyens pour faire sortir leurs enfants d'Allemagne.

Le 5 janvier, Yehudit, Chana et Nathan quittent le domicile avec un groupe d'enfants dirigé par Isidore Marks, directeur de l'orphelinat juif de Francfort. Direction le foyer pour enfants de Heiden, en Suisse. Berta et Josef tentent de persuader Shlomo de quitter l'Allemagne pour rejoindre son frère en Eretz Israël. Le jeune homme refuse d’abord de laisser ses parents seuls, mais finit par capituler. En août 1939, il immigre avec l'Aliyah des jeunes et rejoint son frère à "Mikve Israël". Berta et Josef, eux, restent à Francfort. L'école juive de la ville a été fermée et Josef commence à donner des cours particuliers à domicile.

Jusqu'en novembre 1941, les parents maintiennent une correspondance régulière avec leurs enfants en Eretz Israël et en Suisse, envoyant des lettres chaque semaine. Ils font de leur mieux pour continuer à les éduquer à distance, leur distillant des conseils spirituels pour les aider à tenir jusqu'à leurs retrouvailles. Berta et Josef essaieront par tous les moyens de quitter l'Allemagne. En vain.

Le 19 novembre 1941, ils sont contraints de quitter leur maison et entassés avec d'autres Juifs dans une usine du marché de gros de Francfort. La veille, ils avaient écrit à leurs enfants :

Chers enfants,
Merci du fond du cœur pour votre précieuse lettre, que nous avons été si heureux de recevoir… Dieu a pris soin de nous et nous a accordé sa bonté. Il étendra sa main, qui nous protège, et nous réunira à nouveau quand il le jugera bon, comme nous le récitons dans la prière du soir : "Il ne dort, ni ne sommeille, le gardien d'Israël". Alors n'ayez pas peur, chers enfants, jusqu'à ce que nous vous fassions connaître notre nouvelle adresse… Votre père.
Juste avant notre départ, je vous adresse mes sincères bénédictions. Remplis d'espoir et de foi, nous nous tournons vers notre Père céleste, qui veille sur vous et sur nous. Et vous, chers enfants, soyez forts et maintenez votre foi et votre confiance en Dieu, que son nom soit béni, et qu’il en soit selon sa volonté et ses préceptes, puis - quand il le jugera bon - il nous sauvera tous… Baisers de votre mère

Cette lettre sera le dernier signe de vie de Berta et Josef. Le 22 novembre, ils seront déportés de Francfort lors du troisième convoi au départ de la ville, avec plus de 900 autres Juifs. Ils auraient dû rejoindre Riga, en Lettonie, mais en raison de la forte surpopulation dans le ghetto à l’époque, la destination est modifiée et le train se rend à Kovno, en Lituanie, à quelque 1 500 kms au nord-est de Francfort. Un voyage de trois jours. Le 25 novembre, tous les passagers dont Berta et Josef, sont assassinés au Neuvième fort, site de l’extermination de masse des Juifs de Kovno. Aucun d’entre eux ne survivra.

A Heiden, en Suisse, les enfants Eschwege ont rejoint avec 40 autres jeunes d'Allemagne un foyer pour orphelins juifs, qui fait aussi office de camp d’été pour les enfants juifs de la région. Là, les jeunes réfugiés allemands ne vont pas à l'école, mais étudient avec un étudiant juif, originaire de Hongrie. Les plus âgés travaillaient à la cuisine, la buanderie ou au potager. A 16 ans, Yehudit quitte la maison d’enfants pour devenir femme de ménage chez une famille juive de Lucerne. Quelques mois plus tard, c’est au tour de Chana d’être employée au service d’une famille, qui prend également Nathan sous son aile, afin de lui procurer un environnement plus religieux et le préparer à sa Bar Mitzvah. Mais le jeune garçon contracte une méningite et meurt à Lucerne, en janvier 1945.
Après la guerre, Shimon, Shalom, Yehudit et Chana apprennent le tragique destin survenu à leurs parents. Yehudit se marie en Suisse et Chana immigre en Eretz Israël en 1945.

En 1955, Shimon Esch (Eschwege) remplit des Pages de témoignage à la mémoire de ses parents Josef et Berta Eschwege. En 2012, Chana Gutman (Eschwege) fait don de la correspondance familiale qui comprend des dizaines de lettres et cartes postales, à Yad Vashem dans le cadre du projet national "Rassembler les fragments".